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leur accord avec l’idéal d’ordre fécond et de prospérité croissante qu’il se formait. Il lui parut qu’une grande nation, une société vraiment complète devait être à la fois agricole, manufacturière et navigatrice, et que la France, avec son peuple né pour l’action en tout genre, avec son vaste sol et ses deux mers, était destinée au succès dans ces trois branches du travail humain. Ce succès, général ou partiel, fut à ses yeux le but suprême et le seul fondement légitime des combinaisons financières. Il s’imposa la tâche d’asseoir l’impôt, non sur les privations du peuple, mais sur un accroissement de la richesse commune, et il réussit, malgré d’énormes s obstacles, à augmenter le revenu de l’état en réduisant les charges des contribuables.

Dans ses plans formés surtout en vue de la prospérité matérielle, Colbert fit entrer pour une large part le soin des choses de l’intelligence. Il sentit qu’au point de vue de l’économie nationale, des liens existent entre tous les travaux, entre toutes les facultés d’un peuple ; il comprit le pouvoir de la science dans la production des richesses, l’influence du goût sur l’industrie, des arts de l’esprit sur ceux de la main. Parmi ses créations célèbres, on voit l’Académie des sciences, l’Académie des inscriptions et belles-lettres, les Académies de peinture, de sculpture et d’architecture, l’école de France à Rome, l’école des langues orientales, l’Observatoire, l’enseignement du droit à Paris. Il institua, comme partie du service public et de la dépense ordinaire, des pensions pour les littérateurs, les savans et les artistes, et ses bienfaits envers eux ne s’arrêtèrent pas aux limites du royaume. Quant aux mesures spéciales de ce grand ministre pour la régénération industrielle de la France, leur détail dépasserait les bornes où je suis tenu de me renfermer. Les changemens qu’il opéra dans toutes les branches de l’administration financière, ses travaux pour accroître ou pour créer le capital national sous toutes ses formes[1], ses encouragemens de tout genre distribués à toutes les classes d’hommes concourant à l’œuvre de la production, depuis le chef d’entreprise jusqu’au simple ouvrier, ce vaste et harmonieux ensemble de lois, de règlemens, de statuts, de préceptes, de fondations, de projets, se trouve habilement exposé dans des publications récentes[2]. Il me suffira d’y renvoyer le lecteur et de dire que c’est à l’impulsion donnée par Colbert, à ce principe de vie nouvelle répandu en nous il y a près de deux siècles que nous devons de compter dans le monde comme puissance maritime et commerciale.

  1. Les routes, les canaux, les bâtimens civils et militaires, les arsenaux, la marine marchande et la marine de l’état.
  2. Voyez un excellent chapitre sur l’administration de Colbert dans le tome XIV de l’Histoire de France de M. Henri Martin, l’ouvrage de M. Pierre Clément cité plus haut, et l’Histoire de l’administration en France, depuis le règne de Philippe-Auguste jusqu’à la mort de Louis XIV, par M. Dareste de la Chavanne.