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Un peu d’espérance ranima Guillaume Van Amberg ; il lui sembla qu’une fois le seuil du cloître franchi, Christine retrouverait sa nature d’autrefois, sa jeunesse et son amour. Il crut qu’il allait emmener pour toujours son enfant loin de ces sombres murs. Agité d’une impatience douloureuse, il attendit. Bientôt un pas léger se fit entendre dans le corridor auprès du parloir ; Guillaume se précipita vers la porte ; Christine était là, et nulle grille ne la séparait plus de son oncle.

— Ma bien-aimée Christine, s’écria Guillaume, enfin je puis donc t’ouvrir mes bras et te serrer sur mon cœur ! Viens, nous allons retourner dans notre pays et revoir la maison où nous avons tous vécu ensemble !

La sœur Marthe-Marie était plus pâle encore qu’à sa première entrevue avec Guillaume ; s’il eût été possible de saisir une expression quelconque sur ce calme visage, peut-être eût-on pu y entrevoir un peu de tristesse. La novice se laissa prendre par la main et conduire vers la porte du couvent ; mais quand ces portes se furent ouvertes, et qu’elle en eut franchi le seuil, le jour, l’air, le vent, frappant son visage, elle chancela et s’appuya contre le mur extérieur.

Le soleil en ce moment déchirait les nuages et jetait des rayons d’or sur la plaine et sur la petite montagne ; l’air était transparent, et l’horizon, plat et monotone, recevait de la lumière une espèce de beauté.

— Regarde, ma fille, regarde !… dit Guillaume à Christine, qui restait immobile dans une muette contemplation, regarde comme la terre est belle ! Que cet air est doux à respirer ! qu’il est bon d’être libre et de pouvoir avancer vers cet immense horizon !

— O mon oncle, répondit la novice, que le ciel est beau ! Voyez comme le soleil brille au-dessus de nos têtes ! c’est dans le ciel qu’il faut admirer ses rayons : ils sont déjà ternes et affaiblis quand ils touchent la terre.

Guillaume entraîna Christine vers la voiture qui l’attendait ; il s’y plaça près d’elle, et les chevaux partirent. Les yeux de la novice restèrent long-temps fixés sur les murailles de son couvent ; puis, quand les détours de la route les cachèrent à ses regards, elle ferma les yeux et sembla s’endormir. Pendant ce voyage, Guillaume essaya vainement de la faire causer ; elle pensait, et ne savait plus dire ses pensées ; une grande fatigue l’accablait quand on la forçait à répondre ; toute sa vie s’était réfugiée au fond de son ame ; elle s’y entourait de mystère et de silence ; elle n’avait plus rien à dire au monde extérieur. Parfois seulement, elle murmurait : — Comme la journée est longue ! rien n’en marque les heures ; je n’ai pas entendu une seule cloche d’aujourd’hui !

Pâle, immobile, silencieuse, elle fit le voyage à côté de Guillaume, lui obéissant machinalement ; mais, comme si un voile eût été baissé sur ses yeux, elle ne vit ni la tristesse du vieillard, ni le pays qu’elle