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on a brisé le cœur de cette enfant ; c’est par désespoir qu’elle prendrait le voile : on l’a trop fait souffrir… on a été cruel ; mais j’apporte avec sa liberté la certitude du bonheur qu’elle a souhaité toute sa vie, la permission d’épouser celui qu’elle aime. Christine me suivra, si je puis seulement lui parler.

— Parlez-lui donc, et qu’elle parte, si telle est sa volonté !

— Merci, madame, merci ! Envoyez-moi mon enfant, envoyez-moi ma Christine, je l’attends avec impatience et bonheur.

La supérieure se retira.

Resté seul, Guillaume, profondément ému, regarda autour de lui ; plus il regardait, plus il se sentait le cœur troublé ; un poids affreux oppressait sa poitrine ; il eût voulu prendre Christine entre ses bras, comme il le faisait quand elle était petite, et s’enfuir avec elle en toute hâte, loin de ces grilles qui lui faisaient peur.

— Pauvre enfant, murmurait-il, quel séjour pour les belles années de ta jeunesse !… Oh ! que tu as dû souffrir ! Mais console-toi, chère enfant, me voici !

Il se rappelait Christine, la jeune fille sauvage, se plaisant à être libre, à courir en tous lieux, puis Christine, la femme passionnée, pleine de trouble, d’amour et d’indépendance. Un sourire effleura les lèvres du vieillard, tandis qu’il songeait au cri de bonheur que pousserait Christine quand il lui dirait : « Tu es libre, et Herbert t’attend pour te conduire à l’autel ! » Son cœur battait comme il n’avait guère battu aux jours de sa jeunesse. À son insu, des larmes s’échappèrent de ses yeux : il ne savait si c’étaient des larmes de tristesse lui venant à l’aspect du lieu austère qui avait été cinq années la demeure de Christine, ou si c’étaient des larmes de joie lui venant du bonheur de la revoir et de la délivrer ; il comptait les minutes, et restait les yeux attachés sur la petite porte qui allait s’ouvrir pour laisser entrer Christine. Il ne pourrait la serrer sur son cœur, les grilles étaient là, mais du moins il allait l’entendre et la regarder. Tout à coup son sang se porta violemment vers son cœur au bruit que fit une porte en tournant sur ses gonds ; cette porte s’ouvrit. Une novice vêtue de blanc s’approcha lentement de Guillaume ; il regarda, recula, hésita, et s’écria : — mon Dieu ! est-ce Christine ?

Guillaume gardait avec amour dans sa mémoire le souvenir d’une brune enfant, vive, alerte, aux yeux brillans, au teint hâlé, aux mouvemens brusques, courant plutôt que marchant, un peu comme la chèvre qui aime les flancs escarpés des montagnes. Il voyait devant lui une grande jeune fille, pâle et blanche comme les voiles qui l’entouraient ; ses cheveux disparaissaient sous un épais bandeau de lin ; sa taille élancée se trahissait à peine sous les plis de ses vêtemens de laine blanche ; ses mouvemens étaient lents ; ses yeux noirs étaient voilés par