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la religieuse se leva, alla chercher Christine qui restait près de la porte, la fit asseoir à ses côtés, et lui dit doucement :

— Mon enfant, je vois que vous avez grand besoin que Dieu vienne à votre secours ; il habite cette maison où on le sert avec amour ; vous le prierez avec nous, nous le prierons avec vous.

— Je ne veux pas rester ici, madame ! s’écria Christine ; je mourrai si je reste enfermée dans ce couvent ! Je ne veux pas, je ne peux pas me faire religieuse ; rendez-moi ma liberté, madame !

Ces mots furent prononcés avec l’énergie du désespoir, avec un accent que les murailles du couvent n’avaient jamais entendu. La supérieure resta un instant interdite ; son regard s’arrêtait sur Christine, comme si elle ne comprenait pas ce qu’elle entendait.

— Oh ! laissez-moi partir, madame ! reprit la jeune fille, en tombant aux genoux de la religieuse et en mouillant de larmes ses mains qu’elle embrassait ; par pitié, laissez-moi partir ! J’ai été libre toute vie ; je suis fiancée à un pauvre jeune homme qui mourra si l’on nous retient séparés. Je serai sa femme dévouée et obéissante, je remplirai et chérirai tous mes devoirs. Je n’ai plus il mère, personne n’est plus sur la terre pour avoir pitié de moi ! Vous qui ressemblez à un ange, madame, laissez-moi partir !

La supérieure fut émue. Dans son émotion, il y avait de l’étonnement, presque de la terreur : elle frissonnait de voir l’ame créée par le Seigneur pour le comprendre et l’adorer se livrer, dans une de ces créatures, à la tempête des passions, comme une feuille que le vent a détachée de l’arbre ; mais tout bas, au fond de son cœur, son jugement droit et éclairé reprochait sévèrement à Karl Van Amberg l’usage qu’il faisait de son autorité paternelle. Elle s’approcha de Christine et lui dit avec douceur :

— Appelez-moi votre mètre ; ici personne ne s’appelle madame ; nous sommes une grande famille ; vous n’avez plus autour de vous que des sœurs, et moi que vous devez nommer votre mère. Ne me parlez pas de votre vie passée, je serais inhabile à en guérir les blessures. Vous trouverez dans cette maison des cœurs, non pas plus touchés que le mien, mais plus éclairés pour vous guider. Vous comprenez, mon enfant, que vous ne pouvez aujourd’hui sortir d’ici ; vous m’êtes confiée ; je ne puis vous éloigner de ce couvent que pour vous remettre entre les mains de votre père. Puisqu’il croit sage de vous fermer momentanément sa demeure, il me semble, ma fille, qu’après la maison paternelle, il n’y a que la maison de Dieu. Essayez de respirer quelque temps l’air de ce séjour de paix ; chercher parmi nous le repos sans aliéner votre liberté ; prenez la robe noire des postulantes, robe de bure sous laquelle le cœur apprend vite à ne battre que pour Dieu.

— Moi, moi ! s’écria Christine, me dépouiller des vêtemens que