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Depuis la mort d’Annunciata, on laissait Christine libre. Peut-être M. Van Amberg avait-il pensé avec raison que Christine ne ferait rien de sa liberté pendant ces premiers jours de deuil, peut-être devant les cendres chaudes encore de sa femme avait-il hésité à recommencer l’acte qui lui avait fait verser tant de larmes. Quel qu’en fût le motif, Christine était libre, en apparence du moins. Les trois sœurs, en grand deuil, ne songeaient point à franchir le seuil de leur demeure ; elles travaillaient tout le jour, près de la fenêtre basse du parloir, soupaient avec leur oncle et leur père, puis remontaient dans leurs chambres. Mais, pendant les longues heures d’un travail silencieux, Christine songeait à son ami, elle n’osait pas tenter déjà de le revoir, elle eût cru entendre la voix de sa mère murmurer à son oreille : « Ma fille, il est trop tôt pour être heureuse ! pleure-moi encore seule et sans consolation. » Elle pensait bien qu’Herbert savait son malheur, et Herbert devait comprendre qu’il est des douleurs qu’il faut garder entières, et autour desquelles tout doit faire silence dans la vie. Christine était donc entièrement soumise à la volonté qui réglait l’emploi de chaque heure de la journée ; elle était, comme Wilhelmine et Maria, immobile et appliquée à l’ouvrage. À voir ces trois jeunes filles travaillant, sans parler, avec une infatigable constance, nul n’eût pu se douter que leurs cœurs battaient bien différemment, que mille pensées se cachaient sous un de ces jeunes fronts, qu’une de ces âmes étouffait comme une captive dans cette atmosphère de silence et de froide monotonie.

Un matin, après une nuit de larmes, Christine s’était endormie de fatigue. Des rêves pleins de trouble traversaient ses pensées ; tantôt sa mère la prenait dans ses bras, la berçait comme on berce un enfant qui sommeille, et s’envolait avec elle à travers les nuages en lui disant : — Je ne veux pas que tu vives ! la vie fait souffrir. J’ai demandé à Dieu de te faire mourir jeune, pour que tu ne pleures pas comme j’ai pleuré ! — L’instant d’après, elle se voyait habillée de blanc, couronnée de fleurs, auprès d’Herbert, qui lui disait : — Venez, ma fiancée ! la vie est belle, mon amour vous préservera de toutes larmes ; venez, nous serons heureux ! — Christine s’éveilla brusquement ; un bruit sourd avait frappé son oreille, elle regarda autour d’elle ; sa fenêtre était ouverte, et par terre, au milieu de la chambre, une lettre était attachée à un caillou, dont le choc contre le plancher avait troublé le léger sommeil de la jeune fille. Le premier mouvement de Christine fut de courir à la fenêtre ; elle ne vit personne ; un buisson peut-être s’agitait du côté de la rivière, mais ses yeux ne purent rien distinguer. Elle ramassa la lettre, elle devina que c’était l’écriture d’Herbert. Il semble que l’on ne voit jamais pour la première fois l’écriture de celui que l’on aime ; le cœur la reconnaît comme si les yeux l’avaient déjà vue. Christine pleura de joie. — O ma mère ! — s’écria-t-elle. Elle avait