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saisi avec force son bras, et M. Van Amberg, sans dire une parole, entraîna sa femme vers la porte de la maison, la fit rentrer, enleva la clé de la serrure, et, ouvrant le parloir, fit passer devant lui Mme Van Amberg.

Une lampe brûlait encore, mais l’huile épuisée ne lui laissait plus jeter qu’une clarté incertaine ; elle projetait, par moment, une lueur brillante, puis s’obscurcissait tout à coup. Les angles de la chambre restaient constamment obscurs, les portes et les fenêtres étaient closes, un profond silence régnait partout ; la lampe n’éclairait complètement que la figure de M. Van Amberg. Il était calme, froid, impassible. Sa grande taille, le regard perçant de ses yeux d’un bleu pâle, la régularité austère de ses traits, tout cet ensemble faisait de lui, cette nuit-là, un juge évidemment implacable.

— Vous vouliez me parler, madame, dit-il à Annunciata, me voici, parlez.

Annunciata, en entrant dans le parloir, s’était laissé tomber sur une chaise, l’eau ruisselait sur ses vêtemens ; ses cheveux, alourdis par la pluie, se dénouaient sur ses épaules, et la pâleur répandue sur son visage lui donnait l’apparence moins d’une créature vivante que d’une ombre. L’effroi lui avait fait perdre la conscience de ce qui s’était passé, ses idées se troublaient, elle sentait seulement qu’elle souffrait horriblement.

La voix de M. Van Amberg fit tressaillir Annunciata ; les paroles qu’il prononça renouèrent le fil de ses idées ; cette faible femme songea à son enfant, fit un effort violent, rassembla toutes ses forces, et, se levant :

— Eh bien ! murmura-t-elle, maintenant donc, puisqu’il le faut !

M. Van Amberg attendait en silence ; les bras croisés sur sa poitrine, les yeux fixés sur sa femme, il restait comme une statue, n’aidant, ni d’un geste, ni d’une parole, la pauvre créature qui tremblait devant lui. Annunciata leva sur lui ses yeux baignés de pleurs. Avant de parler, elle le regarda long-temps ; il lui semblait que ses larmes appelleraient des larmes dans ce regard arrêté sur elle ; il lui semblait qu’ainsi, seule avec lui, à l’aspect de tant de souffrances, M. Van Amberg se souviendrait qu’il l’avait aimée. Elle regarda donc long-temps, mettant toute sa vie dans l’expression de ses yeux ; mais pas un muscle du visage de M. Van Amberg ne bougea : il attendait.

— J’ai besoin de votre indulgence, murmura Annunciata ; il me faut faire un effort affreux pour vous parler… ordinairement je ne fais que répondre, je ne parle pas la première, j’ai peur. Je redoute votre colère, ayez quelque compassion pour une femme qui hésite, qui tremble, qui voudrait se taire, et qui doit parler. Christine !… l’avenir de Christine est entre vos mains. Cette malheureuse enfant, m’a demandé d’essayer de fléchir votre rigueur… si j’avais refusé, il n’y aurait pas