Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/424

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Christine. Les saules si beaux, quand le soleil et Herbert étaient là, n’offraient plus à ses regards qu’une masse noire et immobile ; un grand silence régnait partout ; espérer le bonheur était impossible devant cette nature privée de vie et de lumière. Christine avait la fièvre, elle se sentait écrasée par mille puissances diverses, par l’indifférence des siens, par la volonté d’un maître, même par la nuit, qui se faisait froide et morne comme tout ce qui l’entourait. Le cœur de la jeune fille battait vivement dans sa poitrine et se révoltait. Elle voulait braver la réclusion, elle marchait et se heurtait aux murs. Elle voulait braver l’obscurité, elle voulait voir, et ses yeux se fatiguaient à concentrer leurs regards sur des choses invisibles. Elle voulait braver l’indifférence, elle aimait, elle aimait ardemment devant ces cœurs glacés, et proclamait son amour avec orgueil et bonheur ; mais nul n’était là pour l’entendre, et le vent de la nuit emportait loin de toute oreille humaine les paroles d’amour qui s’échappait de ses lèvres. — Eh bien, soit ! disait Christine, qu’ils agissent ainsi : qu’ils me rendent malheureuse, et je ne me plaindrai pas. En me faisant souffrir pour mon amour, ils font de mon amour une chose sainte : si je n’avais été qu’heureuse, j’aurais peut-être eu honte de tant aimer ; mais on me prive d’air, de liberté, je souffre, je pleure… Ah ! je me sens fière de ce que mon cœur bat encore avec joie au milieu de tant de maux. On respecte tout ce qui fait pleurer. Mes souffrances vont ennoblir mon amour et le faire estimer grand par tous ceux qui souriaient en en parlant — Herbert, mon cher Herbert, que faites-vous à cette heure ? seriez-vous paisible en songeant au soleil de demain ? visitez-vous la voile pour voir si rien ne l’empêchera de résister au vent et d’entraîner rapidement votre barque ? ou dormez-vous en rêvant aux vieux saules de la prairie, au murmure de l’eau dans leurs branches, à la voix de Christine disant : Je reviendrai ! Oh ! non, Herbert, il n’en est pas ainsi ; on ne saurait être si unis et si différens d’impression dans la même minute. Vous êtes triste, mon ami, et vous ne savez pas pourquoi ; je suis triste en sachant notre malheur, voilà toute la différence que l’éloignement a pu mettre entre nous….. Quand vous reverrai-je Herbert ? je l’ignore ; mais nous nous reverrons. Si Dieu me laisse vivre, il me laissera vous aimer.

Christine ferma la fenêtre et se jeta tout habillée sur son lit ; le froid l’avait atteinte, elle prit son mantelet noir, s’en enveloppa, puis sa tête s’affaissa doucement sur sa poitrine. Ses mains, d’abord pressées l’une contre l’autre pour retenir les plis de l’étoffe qui la couvrait, s’entr’ouvrirent et tombèrent à ses côtés ; elle s’endormit au milieu de ses larmes.

Les premiers rayons du soleil levant, quoique faibles et bien voilés, éveillèrent Christine, elle se jeta brusquement à bas du lit.