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qu’il possédait un million, et il écrivit simplement : « Merci ; Karl, ce sera pour tes enfans. »

Puis il oublia qu’il était riche et ne changea rien à sa manière de vivre. Il garda la forme commune et l’étoffe grossière des habits d’un campagnard qui redoute le voisinage des villes. Quelques cours de théologie avaient été les seules études de sa jeunesse. Son père, catholique fervent, l’avait destiné au service de Dieu il advint que, par suite de l’indécision de son caractère. Guillaume n’entra pas dans les ordres, ne se maria pas, et vécut tranquillement dans la famille de son frère. La lecture réitérée des livres de religion, unique éducation qu’il eût reçue, avait donné à son langage une forme mystique qui contrastait avec la simplicité campagnarde de sa personne. C’était la seule originalité de Guillaume, qui n’avait de remarquable qu’un grand sens et un bon cœur. Il était le type primitif de sa famille ; son frère en était le dernier échelon, l’exemple du changement apporté par la fortune nouvellement acquise.

Mme Van Amberg, assise près d’une fenêtre, travaillait en silence. Son visage gardait encore les traces d’une grande beauté. Elle paraissait faible et souffrante. Un regard jeté sur elle suffisait pour faire voir qu’elle était née loin de la Hollande. Ses cheveux noirs et son teint un peu brun révélaient une origine méridionale. Silencieusement soumise à son mari, le caractère de fer de Karl Van Amberg avait sans contrainte pesé sur cette faible créature. Elle n’avait jamais murmuré ; peut-être mourait-elle, mais elle mourait sans se plaindre. Son regard était profondément triste ; cette femme semblait avoir souffert, et du malheur évident de sa destinée, et de malheurs inconnus dont elle gardait le souvenir.

Christine, sa troisième fille, lui ressemblait. Brune comme elle, elle formait un contraste frappant avec les visages rosés de ses sœurs. M. Van Amberg n’aimait pas Christine. Déjà froid et rude quand son cœur cachait de la tendresse, il était sévère jusqu’à la cruauté alors qu’il n’aimait pas. Christine n’avait jamais reçu un seul baiser de lui. Elle ne connaissait que les caresses de sa mère, encore les recevait-elle en secret et mêlées de larmes. Ces deux pauvres femmes se cachaient pour s’aimer.

De temps en temps, Mme Van Amberg toussait avec effort. Le climat humide de la Hollande conduisait lentement à la tombe cette femme née sous le ciel ardent de l’Espagne. Ses grands yeux mélancoliques s’arrêtaient machinalement sur l’horizon qui seul, depuis vingt ans, frappait ses regards. Le brouillard et la pluie entouraient la maison. Elle regardait, tressaillait, comme atteinte d’un froid mortel, puis reprenait son ouvrage.

Huit heures donc venaient de sonner, et les deux jeunes