Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/406

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cependant, la main dans la vôtre, je réponds de l’avenir de ma vie entière. Je vous aimerai toujours !… et voyez, je ne pleure pas. Je crois au bonheur de cet amour ; comment ? quand ? je l’ignore, c’est le secret du Dieu qui m’a créée et qui ne peut m’avoir mise sur la terre que pour souffrir. Il m’enverra le bonheur quand il voudra, mais il l’enverra ! Oui, je suis jeune, pleine de vie, j’ai besoin d’air et d’espace ; je ne vivrai pas enfermée, étouffée ici. Le monde est grand, je le connaîtrai ; mon cœur est plein d’amour, il aimera toujours. Allons, point de larmes, mon ami. les obstacles se briseront, il le faudra bien, car je veux être heureuse !

— Eh bien ! Christine, mon amie, ma femme ! pourquoi attendre ? l’occasion perdue ne se retrouva plus. Une minute souvent décide de toute l’existence…. Peut-être, en ce moment, le bonheur est-il là près de nous ! peut-être en sautant dans cette barque, peut-être avec quelques coups de rames pour quitter le rivage, sommes-nous unis pour toujours !… peut-être, si vous remettez le pied sur la terre, sommes-nous séparés pour jamais. O Christine, venez ; le vent se lève. Là, au fond de mon canot, il y a une voile qui va s’enfler, et nous emmener aussi vite que l’aile de cet oiseau traverse l’espace.

Des larmes inondaient les joues brûlantes de Christine. Elle frissonnait, regardait son ami, l’horizon, la liberté ; elle hésitait, une lutte pénible agitait l’ame de cette enfant. Elle cacha sa tête dans les branches des saules, elle entoura de ses bras le tronc de l’arbre qui la soutenait, comme pour résister au désir de se laisser glisser dans la barque, puis, d’une voix étouffée, elle murmura ces mots : « Ma mère ! » Quelques secondes après, Christine, relevant son pâle visage, reprit doucement :

— À qui ma mère parlerait-elle de son cher pays, si je partais ? qui pleurerait auprès d’elle quand elle pleure, si je partais ? Elle a d’autres enfans, mais ils sont gais, heureux, ils ne lui ressemblent pas ; il n’y a que ma mère et moi qui soyons tristes dans notre maison. Ma mère mourrait de mon absence. Il me faut son adieu, sa bénédiction, ou bien il me faut rester à ses côtés, comme elle glacée par ce climat, enfermée dans ces murs, maltraitée par ceux qui n’aiment pas. Herbert, je ne fuirai pas, j’attendrai. Au revoir, mon ami !

elle fit un mouvement pour gagner le rivage.

— Un instant encore ! un instant, Christine, j’ai peur !… je ne sais quel glacial pressentiment me frappe le cœur. Amie ! si nous ne devions plus nous revoir !… oh ! ce saule, cette barque, ce petit coin de terre tout couvert de mousse et de roseaux, vous ! vous ! là, près de moi… Est-ce la plus belle heure de ma vie qui vient de s’écouler !

Et le jeune homme fondit en larmes, cachant sa tête dans ses deux mains.