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quelques-unes de cet confidences d’un noble esprit, afin de mieux faire apprécier toutes les nuances, tous les côtes de son talent.

Entre les diverses manifestations d’une inspiration si délicate, il y avait un lien étroit, une sorte d’unité que nous voudrions surtout faire apercevoir. Le gracieux monument avait son harmonie, et, bien qu’inachevé, il la laisse encore deviner. Quelle est donc la pensée qui relie ces poétiques fictions ? Quel sentiment domine cette série d’études intimes où la finesse et l’émotion s’unissent à de si bienfaisantes leçons ? Ce sentiment, disons-le tout de suite, c’est celui du devoir : c’est une admiration mêlée d’une tendre pitié pour les douloureux sacrifices où la passion s’épure, où les plus faibles âmes se retrempent et se fortifient. Au moment où tant de fausses doctrines ont fait du roman moderne leur complice et leur esclave, cette alliance de l’imagination et d’une raison supérieure à toute l’autorité, toute l’opportunité d’une protestation éloquente. Pour s’assurer de ce que l’esprit gagne à se placer ainsi sous la direction du cœur, il suffit de lire ces pages dont la douce influence s’exerce sans effort et nous élève en nous calmant. Il y a là une force salutaire qu’on ne peut méconnaître, et qui réside tout entière dans les sincères effusions d’une belle ame.

Un volume de vers intitulé le Manuscrit de ma Grand’Tante, deux recueils de nouvelles connus seulement de quelques amis, peut-être quelques esquisses que la mort n’a pas permis d’achever, voilà à tout ce qui reste de l’aimable talent dont la carrière a été si courte. Le Manuscrit de ma Grand’Tante a précédé en date les nouvelles. C’est par la poésie que l’auteur a préludé au roman. Déjà pourtant on sent poindre le romancier à côté du poète. Dans la préface de ce recueil, destinée à en déguiser le caractère trop confidentiel, c’est la forme du roman, maniée avec une aisance supérieure, qui vient en aide à la modestie de l’écrivain. Le souffle élégiaque semble d’autant plus vif et plus pénétrant, qu’il s’est donné carrière dans le cadre du récit. Une idée qui revient souvent sous la plume de l’auteur, — la mort dans la jeunesse, — répand un douloureux intérêt sur ces premières papes du recueil. En plein hiver, le jeune comte d’Ebersac s’arrache aux brillantes distractions de la vie parisienne et monte en chaise de poste. Pourquoi ? C’est qu’au moment de partir pour le bal il a reçu une lettre du régisseur de son château d’Ebersac, qui lui annonce la mort de sa grand’tante, dont il est l’unique héritier. Le comte n’a point connu la marquise d’Ebersac ; il ne se souvient que vaguement du marquis, son grand’oncle, qui n’a jamais quitté son château de Gascogne, où il est mort depuis plusieurs années. Il part donc pour aller prendre possession de la fortune assez considérable que lui assure la mort de la marquise. Chemin faisant, il évoque les riantes images d’une villa du midi se détachant sur le ciel bleu, au milieu des touffes d’oliviers et d’aloès. Il est tristement surpris par l’aspect désolé du château d’Ebersac, qui s’élève au flanc d’une aride montagne, au milieu d’un véritable désert. Sa tristesse augmente quand il a franchi le seuil du château, et quand, guidé par le vieil intendant Philippe, il pénètre dans les appartemens délabrés de cette gothique résidence. On traverse plusieurs salles dépourvues de tout meuble. Dans le salon, un grand fauteuil de maroquin, un guéridon, un métier oublié près d’une fenêtre indiquent la pièce où se tenait la marquise. On ouvre une dernière porte, on est dans la chambre à coucher, triste et nue comme tout le reste du château. Deux