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illusion d’une société où les affaires prendraient le pas sur les opinions, nous ne pouvons pas nous défendre de faire un triste retour sur la marche intérieure de l’assemblée législative, où il semble que les dissentimens politiques prennent chaque jour le pas sur les affaires et surtout sur notre unique affaire, celle du salut commun.

Il s’agit en effet pour nous tous de ne pas mourir. Quoi de plus important, ce nous semble ? Il y a cependant, au jugement de quelques personnes, une chose plus importante : c’est de savoir si l’union électorale a bien fait de présenter M. Fernand Foy aux électeurs de Paris, qui l’ont déjà nommé et mis en tête de leur liste définitive le 10 mars dernier. Est-ce que M. Fernand Foy est socialiste ? — Non, assurément, mais cela ne suffit pas. Il faut, pour être un bon candidat, n’avoir pas été, soi ou son père, de l’opposition sous la restauration ; il ne faut pas cependant avoir été trop légitimiste, car on déplairait d’un autre côté. Il ne faut pas non plus avoir été trop orléaniste ou trop bonapartiste. Il ne faut pas être universitaire ; mais il ne faut pas non plus être jésuite. Voilà le programme d’un bon candidat. Il paraît que M. Fernand Foy ne remplit pas toutes les conditions de ce programme. Et qui donc les remplit, bon Dieu ? Et qui donc est assez effacé, lui et les siens, pour échapper à tous les reproches ? Il nous semblait, à nous, bonnes gens, qu’il n’y avait que deux partis, celui des socialistes et celui des anti-socialistes, celui qui veut perdre la société actuelle, et celui qui veut la défendre et la conserver. M. Foy est du parti qui défend la société. Que voulez-vous de plus ? Que son nom ou sa personne plaise à tout le monde et ne déplaise pas à quelqu’un ? À ce compte, trouvez des candidats, et essayez de faire un parti puissant avec cette insurmontable manie de mettre partout nos fantaisies ou nos rancunes à la place de la raison !

Est-ce seulement dans les élections que le parti modéré se trouve atteint de l’esprit de division ? Non ; le parti modéré se plaint avec raison du désordre moral des esprits : personne ne veut plus obéir à personne, et chacun se croit capable de commander à tout le monde. Oui, ce sont bien là les vices de notre société ; mais le parti modéré nous semble un médecin qui a toutes les maladies qu’il veut guérir. L’intolérance de ceux qui ont le bonheur de n’avoir encore rien fait devient chaque jour plus grande. Le parti de l’ordre ne veut pas de chefs ou n’en a que pour en médire. — Mais les chefs ne font rien. — C’est-à-dire qu’ils ne font pas ce que vous voulez, et qu’ils ne pensent pas ce que vous pensez. C’est un grand malheur pour eux ; mais qu’y faire ? Nous lisions dernièrement dans les Actes des Apôtres, le plus spirituel journal de la révolution française, mais le plus impuissant (cela est triste à rappeler dans un temps où nous avons aussi beaucoup de journalistes fort spirituels), nous lisions dans les Actes des Apôtres la petite anecdote suivante : Un colonel de la garde nationale ne voulait pas se remettre sur les rangs quand vint le jour de l’élection. — Mais doutez-vous des suffrages ? lui disaient ses amis. — Non. — Pourquoi donc ne pas vouloir vous laisser réélire ? — Écoutez ! voilà un an que je suis colonel, et je ne suis pas fâché de redevenir simple soldat, afin de pouvoir commander aussi un peu à mon tour. — Et nous aussi nous conseillerions volontiers à MM. Molé, Thiers, de Broglie et Berryer d’être simples soldats pendant quelque temps, afin qu’ils puissent commander aussi un peu à leur tour, et fronder, et railler, et médire, et faire des épigrammes : nous sommes persuadés