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conciliation impossibles, et non dans des espérances généreuses, mais chimériques, qui viennent échouer contre des vices implacables, parce qu’ils sont insatiables.

À Dieu ne plaise que nous nous fassions de la France une peinture trop sombre ! Nous savons bien que cette population malfaisante que le président a rencontrée sur son chemin, en revenant de Vincennes, se trouve dans toutes les grandes villes : elle est à Londres, elle est à Vienne, elle est même, nous en sommes persuadés, à Moscou et à Saint-Pétersbourg, elle était à Paris avant le 24 février ; mais elle était contenue par l’autre portion de la population, et surtout elle était contenue par les institutions. Loin de faire une part à l’influence de cette population, loin de lui donner des armes et des instrumens, les lois avaient soin de l’exclure de toute participation à la vie politique, de toute action sur nos destinées. Il n’en est plus ainsi de nos jours. Les lois sont ainsi faites, que les méchans y trouvent sans cesse des occasions de signaler leur activité malfaisante. Nous avons non-seulement à lutter contre la mauvaise population, ce qui est la condition de toute société ; nous avons aussi à lutter contre l’effet de nos lois, et c’est la première fois qu’une société a fait des lois pour aller à sa ruine, au lieu d’en faire pour aider à sa conservation. Le suicide est interdit aux individus ; il paraît qu’il est permis aux sociétés.

« Que la marche des mauvaises passions ne devance pas la nôtre, » disait le président de la république dans son discours d’ouverture des conseils-généraux de l’agriculture, des manufactures et du commerce. Ces paroles sont justes et significatives. Placé au sommet de la société, le président de la république voit mieux que personne le chemin que font les mauvaises passions, et il n’hésite pas à dire qu’il faut les devancer et sauver la société de leurs attaques avant que ces attaques soient devenues irrésistibles. Avec un dévouement qui n’a jamais failli, le président promet de faire tout ce qui sera possible pour sauver la société ; mais il dit aussi que le temps presse, et il a raison. Nous aimons ces paroles du président ; nous aimons que les plus éclairés sur les dangers de la société soient en même temps les plus inaccessibles au découragement. Le président a toujours eu confiance en lui-même, et, pour parler un peu le langage napoléonien, en son étoile. Cette confiance n’est pas sans cause, et l’étoile qui l’a mené à la présidence du gouvernement de la France ne doit pas perdre son influence devant les clameurs du faubourg Saint-Antoine. Ce qui a fait du prince Louis Bonaparte le chef de l’état, c’est son nom, et comme ce nom n’a pas pris sa force dans la popularité des carrefours, les carrefours, qui ne lui ont rien donné, ne lui peuvent non plus rien ôter. Ce qui l’a désigné aux suffrages du 10 décembre 1848, c’est qu’il n’était pas le premier venu, c’est qu’il était quelqu’un dès sa naissance. Qu’est-ce que les cris tumultueux du faubourg Saint-Antoine lui ont fait perdre de ces prérogatives que la sottise raisonneuse peut seule contester ? La scène du retour de Vincennes n’a, selon nous, qu’un sens : c’est que le président de la république ne peut gouverner qu’avec la vraie société et pour la vraie société contre la fausse et la mauvaise, et c’est bien là aussi le sens du discours qu’il a tenu aux représentans de l’agriculture, du commerce et des manufactures assemblés au Luxembourg. « Le temps presse ! que la marche des mauvaises passions ne devance pas la nôtre ! »