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Santa-Cruz et disposés même pour le renverser à tendre la main aux Chiliens. Ceux-ci comptaient sur ces mésintelligences. La présence d’une armée bolivienne dans les environs de Lima, le grand nombre de places importantes occupées dans l’administration par des Boliviens, qu’en dépit du pacte fédéral on continuait à regarder comme des étrangers, avaient froissé l’amour-propre national des Péruviens, et la confédération se trouvait déjà menacée bien plus fortement par ces germes de discorde que par les armes du Chili. Enfin, la guerre, que l’on savait uniquement dirigée contre Santa-Cruz, pesait particulièrement sur les départemens du nord, les moins disposés à le soutenir. La reconnaissance tardive de la confédération par le congrès bolivien, assemblé à Cochabamba (30 mai 1838), n’était pas une compensation aux coups qui lui étaient portés à Lima. Une tentative de révolution y avait eu lieu : elle fut réprimée ; mais l’opinion publique ne s’en prononçait pas moins contre le système fédératif, et tous les partisans des gouvernemens déchus, tous les ambitieux qui ne voyaient dans une révolution qu’un moyen d’arriver au pouvoir, travaillaient ardemment à exciter les haines de la population péruvienne contre les Boliviens. Déjà le général Nieto, commandant militaire de l’état du nord, avait des intelligences avec l’amiral chilien. Les généraux Gamarra et Lafuente, réfugiés au Chili, entretenaient des correspondances secrètes avec les mécontens, et animaient le cabinet de Santiago dans ses projets de descente. Ils comptaient pour l’appuyer sur leurs partisans, et pour cela ils cherchaient à présenter la guerre, non plus comme une lutte de nation à nation, mais comme celle d’un parti appuyé sur l’intervention armée du Chili contre un autre parti appuyé sur l’intervention armée de la Bolivie. Pour atténuer autant que possible le mauvais effet d’une invasion étrangère, ils étaient encore parvenus à faire donner à des officiers péruviens, exilés comme eux, plusieurs commandemens importans dans l’armée chilienne, et eux-mêmes devaient prendre place dans ses rangs.

C’est alors que le général Orbegoso, soit qu’il regrettât secrètement de voir son pouvoir borné à l’état nord-péruvien sous le protectorat de Santa-Cruz, soit qu’il crût que les intérêts du pays lui commandaient un changement de conduite, se déclara à son tour contre le système fédératif. Le général Santa-Cruz, obligé de se transporter souvent sur les différens points des deux républiques qu’il gouvernait, était en ce moment dans le sud du Pérou ; ses ennemis avaient le champ libre. Les troupes restées fidèles au protecteur se virent contraintes d’abandonner Lima et se retirèrent au Callao. Les Chiliens trouvèrent le moment favorable pour une descente et en profitèrent. Ils venaient de recevoir des renforts. Après avoir croisé encore quelque temps devant le Callao, ils entrèrent dans la petite rade d’Ancon,