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Laplume, Maupas, et entende les ordres qu’ils reçoivent. S’il ne les entend pas, il ne conçoit pas une juste idée de la résistance désespérée à laquelle Toussaint s’est décidé.

Je ne crois pas possible de partager, sans de graves inconvéniens, l’attention de l’auditoire entre les lieutenans de Toussaint. Il suffit de nous montrer à l’œuvre le plus farouche, le plus cruel de tous, Dessalines. Or, quelle était l’œuvre confiée à Dessalines ? L’incendie de la ville du Cap, dès que les Français auraient mis le pied sur la terre d’Haïti. Je ne conçois pas un poème dramatique dont Toussaint est le héros sans l’incendie du Cap. Cette affreuse résolution, trop fidèlement exécutée, est un trait indispensable dans le tableau de la défense de Saint-Domingue. Que les jansénistes littéraires ne se récrient pas, que les petites maîtresses ne se pâment pas d’effroi, l’incendie du Cap ne doit pas être raconté ; il faut qu’on le voie, il faut qu’on entende les toits se tordre sous la flamme qui les dévore, qu’on suive d’un œil éperdu les mères tremblantes qui emportent leurs enfans à travers les débris de la ville. Qu’on ne dise pas que c’est là un tableau digne tout au plus des théâtres de boulevard, et que la poésie dramatique doit répudier. Quand je demande l’incendie du Cap, je ne prétends pas effacer le poète devant le décorateur. Le spectacle n’est ici que le cadre où le poète doit placer sa pensée. Les colons les plus hardis se décident à se jeter dans les bras de l’armée française ; les plus timides perdent leur temps en délibérations, et sont emmenés dans les mornes par Dessalines. Il y a dans ces scènes déchirantes quelque chose qui ne s’adresse pas aux yeux seulement, et dont le poète peut tirer parti.

L’entrevue de Toussaint et de ses enfans après l’incendie du Cap transporte le spectateur dans un monde d’émotions attendrissantes.

Cette entrevue, qui, par sa nature même, agite profondément tous les cœurs, rapprochée de la tâche terrible confiée à Dessalines, acquiert encore une plus grande puissance. Il faut que le père se montre à nous tout entier, avec ses angoisses, ses défaillances, et que la victoire demeure pourtant à l’ambition cachée sous le manteau du patriotisme. Que M. de Coasnon remette à Toussaint la lettre du premier consul, qui commence par la flatterie et finit par la menace. Qu’il ajoute à cette lettre les promesses de Bonaparte pour lui-même, pour ses fils ; que les enfans à leur tour essaient de fléchir leur père en lui montrant l’inutilité de la résistance, et qu’après l’immuable réponse de Toussaint, Placide retourne au camp français avec M. de Coasnon, tandis qu’Isaac demeure près de son père.

Ici se place fatalement une réminiscence de Mithridate. Le vieux Toussaint entre Isaac et Placide, comme Mithridate entre Pharnace et Xipharès, doit entretenir ses fils de ses projets, de ses espérances. Les Anglais lui ont offert la royauté d’Haïti. S’il l’a refusée pour n’appartenir