Normandie. Voulant arrêter ses vues sur les travaux de défense de Cherbourg, l’empereur monta, le 27 mai, avec le prince Eugène, le général Chasseloup-Laubat et les officiers du génie attachés à la place, sur les roches élevées que couronne le fort du Roule ; et le port, la côte, la rade se déployèrent sous ses yeux dans toute leur magnificence. Il aperçut à l’est de la ville et au bord de la mer une vaste étendue de sables à demi fixés sous un tapis de mousse et de chiendent, et demanda quel était ce terrain. C’étaient les Mielles de Cherbourg et de Tourlaville, inutile propriété de l’état, formée des sables jetés à la côte par les vents et les marées. Le soir, il donnait ses ordres, et le 6 juin, signant à Saint-Cloud un décret par lequel il prescrivait la création d’établissemens municipaux appropriés aux nouvelles destinées de la ville de Cherbourg, il rangeait parmi les ressources affectées à ces dépenses la concession des mielles et l’autorisation de les vendre ; mais il voulait qu’auparavant on ouvrît au travers un canal d’arrosage et des rues, des chemins faits pour donner une valeur à ces terrains voués en apparence à une éternelle stérilité. On accusa l’empereur de faire un présent dérisoire, on s’égaya sur sa prétention de paraître généreux lorsqu’il n’imposait qu’une charge, et l’on ne se fit pas faute de prédire la ruine de la ville. Malgré les retards causés par la chute de l’empire, les prescriptions de Napoléon ont été suivies. Une large route s’est dirigée au travers des mielles vers Barfleur, Saint-Vaast et la Hougue ; des rues, des chemins latéraux, les partageant en compartimens, en ont de tous côtés rendu l’accès facile, et c’est dans cet état qu’après avoir pourvu aux travaux d’ensemble, l’administration les a livrées à l’industrie privée. Cherchez aujourd’hui sur ce territoire les ondulations sauvages des dunes de 1811 : vous trouverez à la place une ville nouvelle, et plus loin une plaine nivelée, des sables fécondés par le mélange des vases du port et des immondices de la ville, des jardins, des vergers, des prairies, partout une végétation luxuriante, une population active, et, pour résumer en un chiffre le changement qui s’est opéré, des terrains qui n’avaient de valeur que celle du gibier qui s’y prenait atteignent aujourd’hui, quand ils sont affectés à la culture, le prix de 5 à 10,000 francs l’hectare, et, quand ils le sont aux constructions, un prix très supérieur encore. Les bases du travail local se sont élargies, la masse des subsistances disponibles s’est accrue, et une nouvelle matière imposable s’est créée au profit de l’état.
Ainsi, l’activité a succédé à l’inertie, l’abondance à la stérilité, et jamais le difficile problème du passage des terres vagues à l’état de culture n’a reçu de solution plus complète et plus heureuse ; mais, parce qu’au lieu d’être distribuées à des indigens ou à des paresseux enrégimentés en atelier national, ces terres ont été vendues, au profit du public, à des personnes capables d’y verser, sous une forme ou sous une autre, un capital considérable, les classes pauvres ont-elles été