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couronnes en cette partie. Un vieil officier allemand, chargé d’apprendre cette langue aux élèves, voyant que le jeune Bonaparte avait les prix de mathématiques sans faire de progrès en allemand, dit un jour devant lui : « Je savais bien que l’on pouvait l’emporter dans les mathématiques, quoique l’on fût bête. »

« Il avait aussi beaucoup de goût pour l’histoire : il regrettait de la voir presque toujours bornée aux affaires militaires et aux intérêts des familles régnantes.

« Le style de Rousseau, sa chaleur, ses idées, lui plaisaient. À vingt ans, il a commencé à n’en faire aucun cas et à lui préférer Voltaire. Sa mémoire a toujours été très active pour tout ce qui était instruction réelle ; il n’a jamais retenu facilement les vers.

« Sorti de l’école, il a eu, dès le premier moment et quoique dans les grades inférieurs, la distinction que donnent des connaissances étendues. La mode était alors de parler de tout, excepté de son métier. Il était plus en état que ses camarades de paraître avec avantage dans la société ; il était dès-lors considéré comme le plus instruit. Bientôt après il fut appelé au conseil militaire et y lit des rapports sur toutes les questions importantes.

« A vingt-trois ans, ce fut lui qui conduisit le siége de Toulon, et ce fut à lui seul qu’on dut la prise de cette place.

« A vingt-quatre ans, il fit sa première campagne d’Italie. Jusqu’alors il n’avait point le sentiment de sa grandeur future : il se sentait seulement appelé aux premières dignités militaires.

« Ce ne fut qu’après la bataille de Lodi (1796) que le tableau de ce qui se passait en France et dans les états voisins fixa toutes ses idées sur la politique. Dès-lors j’entrai en malice vis-à-vis du directoire, a dit l’empereur, c’est-à-dire que je fis à part mes combinaisons politiques, et que je me sentis le courage et les moyens de relever la France de l’abîme où elle s’enfonçait de plus en plus.

« Lorsqu’il revint d’Italie à Paris, il vit que les affaires n’étaient point encore arrivées au point de détérioration nécessaire pour que l’opinion générale lui donnât assez de force. Des membres du directoire, et notamment l’abbé Sieyès, le pressaient de prendre avec eux part à la direction des affaires. Les lumières ne suffisent point à qui n’a point la force : il se fût exposé à être victime de la première conspiration sans moyen de la prévenir ou de la punir. Il voulut, d’une part, que l’on éprouvât dans les événemens de la guerre les effets de son absence, et, de l’autre, que cette absence eût pour effet de tenir les imaginations en éveil par ce vif intérêt qu’inspirent les grands projets. L’Égypte était le pays des grands souvenirs et des grandes spéculations : il demanda et fit adopter l’expédition d’Égypte. Il ne fût point allé en Amérique. Jusqu’à son départ, il se tint le plus possible dans la retraite, se mêlant avec l’Institut, s’occupant de sciences, travaillant à rendre aussi sous ce rapport son voyage intéressant. L’impression qu’ont faite en Europe et en Asie ses campagnes d’Égypte n’est point effacée.

« Pendant ce temps, ce qu’il avait prévu est arrivé. Les affaires publiques, militaires et civiles avaient été au plus mal : sa réputation s’était agrandie au point que la voix de toutes les classes le proclamait d’avance le seul homme qui pût prévenir les calamités incalculables qui devenaient de jour en jour plus