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[1], et il ôtait à cette assemblée jusqu’au droit d’être présidée par un de ses membres. « Jusqu’ici, disaient au sénat les orateurs du gouvernement, sa majesté choisissait entre cinq candidats que le corps législatif avait présentés ; mais il peut arriver que les hommes portés sur cette liste, quelque honorables et distingués qu’ils soient par leurs lumières, n’aient jamais été connus de l’empereur. Comme une des prérogatives du corps législatif est de pouvoir parvenir directement jusqu’au souverain par l’organe du président, il a paru, pour que les communications pussent être plus utiles à la chose et spécialement au corps législatif, qu’il était convenable que le président se trouvât déjà connu de l’empereur. De cette manière, le corps législatif et chacun de ses membres seront assurés de trouver dans son président un intermédiaire, un guide, un appui. Il est d’ailleurs dans le palais des étiquettes, des formes qu’il est convenable de ménager, et qui, faute d’être bien connues, peuvent donner lieu à des méprises, à des lenteurs que les corps interprètent toujours mal. Cela est évité par la mesure que nous proposons… » Et trois jours après avoir reçu cette communication, le sénat conférait à l’empereur le choix absolu du président du corps législatif[2]. Tout cela se faisait très sérieusement, était accepté de même, et, plus soucieuse des résultats que des formes, la nation voyait passer sans s’émouvoir des actes qui nous semblent aujourd’hui être d’un autre siècle. Ces actes sont l’expression des idées de Napoléon sur la part à faire aux assemblées dans le gouvernement, et le peuple français n’a pas pour cela maudit sa mémoire. Si le poids de l’impôt et de la conscription arrachait quelques cris de douleur, ce n’était point aux assemblées, personne n’y pensait, mais à l’empereur lui-même qu’ils s’adressaient, et tout, jusqu’aux plaintes dirigées contre lui, l’autorisait à se croire le véritable représentant de la France.

Deux ans plus tard, le désastre de Waterloo le mit aux prises avec les réalités du gouvernement parlementaire : sa main cherchait un appui ; elle ne rencontra que des épines. Il n’avait qu’une affaire, repousser l’ennemi ; la chambre des représentans en avait une autre : elle refaisait la constitution, et nos Grecs du Bas-Empire, parce qu’ils discouraient encore à la tribune quand les baïonnettes étrangères couronnaient les hauteurs de Montmartre, se comparaient aux sénateurs de Rome attendant les Gaulois sur leurs chaises curules. L’assemblée elle-même n’omit pas une seule des fautes qui pouvaient favoriser les desseins de l’ennemi, et ne vit dans la tempête qu’une occasion de jeter le pilote à la mer. Un antagonisme ainsi placé était-il propre à faire revenir Napoléon de l’opinion que le régime parlementaire était hors d’état

  1. Le corps législatif se renouvelait d’année en année par cinquième.
  2. Sénatus-consulte du 15 novembre 1813.