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de la foule ; l’horizon s’éclaircit et s’étend ; en distinguant le but de certaines routes, on s’en explique le tracé ; on apprend la vanité de la critique, la valeur et les difficultés de l’action ; on fait même parfois avec réflexion ce qu’on avait blâmé chez les autres avec le plus d’amertume, et heureux qui, sentant chanceler sous ses pieds les bases du pouvoir et de la société, sait alors faire un noble retour sur lui-même et revenir à Ham pour juger la tentative de Boulogne !

Parmi beaucoup d’observations judicieuses, de faits intéressans relatifs au régime impérial, le but principal de l’illustre écrivain a été de montrer que la politique dont il se croyait l’interprète le plus légitime, alors qu’il lui était interdit d’en être le continuateur, pouvait seule assurer à la nation la plénitude et la stabilité de ces institutions représentatives qu’elle poursuit avec ardeur quand elles lui sont contestées, et dans les vraies limites desquelles elle ne sait pas se tenir quand elle les possède, toujours prête à se rejeter en-deçà ou au-delà ; il s’est efforcé d’ajouter à l’auréole de l’empereur Napoléon la popularité due à un réformateur libéral, auquel il n’aurait manqué que du temps pour réaliser ses projets.

Non, quoi qu’il ait pu dire lui-même à Sainte-Hélène, dans des momens de regret ou d’espoir où sa grande ame se laissait aller à je ne sais quel besoin de l’approbation lointaine de son siècle ; non, Napoléon n’a jamais ambitionné la facile gloire dont se sont un moment bercés la reine Christine en Espagne, le pape Pie IX le roi Charles-Albert, le grand-duc Léopold en Italie, le roi de Prusse et plusieurs petits souverains en Allemagne. Il voyait plus loin et plus juste qu’eux tous ; il voulait et pouvait mieux. D’abord, il croyait peu aux vertus, à l’aptitude des assemblées politiques, et moins encore à la confiance du peuple français en elles ; puis, il pensait représenter ce peuple à beaucoup plus juste titre que des députés d’arrondissemens, et il faut avouer que l’histoire dont il a été le héros donnait au moins des prétextes spécieux à cette prétention. Il avait vu l’assemblée constituante malgré l’immensité de ses travaux, l’assemblée législative malgré sa courte durée, la convention malgré les flots de sang versés et l’indépendance du pays sauvée sous son règne, tomber sous l’indifférence ou l’exécration de la nation ; le souffle dont il avait renversé au 18 brumaire les conseils créés par la constitution de l’an III avait mis à nu devant lui le peu de profondeur de leurs racines. Lorsque, saisissant le timon des affaires, il avait fait l’inventaire des résultats du gouvernement des assemblées, son cœur s’était soulevé de colère et de mépris ; les finances désorganisées, l’armée sans solde et sans pain, la Vendée, l’Anjou, la Bretagne en proie à la guerre civile, le brigandage organisé sur les routes du midi, Lyon en ruines, la corruption et la vénalité maîtresses du gouvernement, la f rance enfin près de succomber comme