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venait de se faire ne fut pas perdue. Au lieu d’une présidence qui fût la vassale d’une coterie, la nation en voulut une qui fût pour tout le monde : elle sentait surtout vivement le vide et le danger d’institutions qui, mettant périodiquement tout son avenir en question, faisaient passer à l’état chronique l’instabilité maladive à laquelle elle n’est que trop malheureusement disposée ; elle se souvenait enfin d’avoir été guérie de maux analogues cinquante ans auparavant. Le nom de Napoléon devint donc un programme ; le reflet en fut pris pour l’aurore du rétablissement de l’ordre et du rapprochement des partis : l’empereur fût le grand électeur, et cette légitimité de par le peuple, jadis abattue sous les efforts de l’Europe coalisée, se releva dans les cœurs de six millions d’hommes, comme une protestation contre le présent et un appel aux souvenirs du passé.

Cette élection ne pouvait pas être prise pour un assentiment donné aux travaux et aux vœux de l’assemblée constituante. Celle-ci se méprenait si peu sur les dispositions du pays, qu’elle se gardait de soumettre à son acceptation la constitution de 1848, comme on avait fait pour celles de la première république, du consulat, de l’empire et des cent jours, et elle s’était fait une tâche de témoigner son éloignement au nouvel élit. Le suffrage universel n’avait pas non plus poussé un cri de guerre. Ce qu’il invoquait, c’était le principe d’autorité si fermement consacré par Napoléon, et la popularité posthume de ce grand nom était l’expression de la volonté bien arrêtée de se voir gouverné. C’était là ce que devaient étudier et comprendre, dès la veille du 10 décembre, tous les hommes appelés à prendre part aux affaires du pays. Celui de tous dont la manière d’envisager la politique de Napoléon nous importe le plus a publié trois volumes, qui empruntent un intérêt particulier à la position qui le met à même de réaliser aujourd’hui une partie de ses vues. Institutions politiques, administration intérieure, organisation militaire, agriculture, commerce, finances, relations extérieures, tout a été pour le prince Louis-Napoléon un sujet de méditations, et nos affaires ont été, pendant son exil et sa captivité, le constant objet de ses préoccupations. Il n’est pas permis à tout le monde de dédaigner les inconvéniens attachés à l’habitude d’écrire souvent, et des esprits chagrins découvriraient sans beaucoup de peine dans ces volumes des idées et des systèmes dont l’application conduirait à des résultats fort différens de ceux qu’il s’agit aujourd’hui d’atteindre. Heureusement les faits n’ont pas tardé à commenter les textes de manière à ne laisser place à aucune équivoque. Le contact des grandes affaires, l’exercice du pouvoir, tout en élargissant la part de certaines infirmités de notre nature, manquent rarement de ramener au vrai les esprits justes et les cœurs droits : on découvre, en s’élevant, des causes et des effets qu’on n’apercevait pas du milieu