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sur l’état moral d’un pays, vous répond par des analyses philosophiques, des anatomies savantes, des théorèmes pompeux de mécanique constitutionnelle ou des supputations économiques ? Merveilleux moyen de surprendre le secret des sociétés que de s’attacher uniquement à ces mécanismes extérieurs, à ces fictions et à ces calculs ! En échappant à cette atmosphère où rien de vivant ne palpite, je comprends ce qu’on peut trouver d’intérêt et de véritable philosophie même dans l’observation simple des mœurs d’un peuple et des singularités qui s’y rencontrent, dans la description de ses habitudes lentement formées, de ses plaisirs qui portent aussi l’empreinte de son génie, de ses attachemens persistans, de ses aptitudes instinctives et de ces mille traits enfin dont l’ensemble compose ce qu’on peut appeler sa physionomie nationale. C’est du moins un peuple saisissable et réel qu’on a sous les yeux, au lieu d’un peuple chimérique et factice. Décrire ces choses légères, ces nuances qui se déploient, un type local qui survit, une coutume originale, la passion ardente de certaines jouissances, une fête ou un costume, ce n’est rien, pensez-vous ? Ce n’est rien, et c’est beaucoup pour celui qui interroge ces curieux témoignages et en recherche le sens intime. Cette fête populaire que vous couvrez d’un philosophique et inattentif dédain, savez-vous quelle parcelle du sentiment national s’est condensée un jour en elle et la fait vivre ? Cet usage, bizarre peut-être en apparence, savez-vous à quelle profondeur il est enraciné dans le sol ? Cet amour enthousiaste de certains plaisirs, savez-vous à quelles sources il s’enflamme ? Fêtes, usages, plaisirs, — ils tiennent à l’essence nationale elle-même dont ils sont la manifestation variée et pittoresque. Les mœurs, à vrai dire, montrent le génie national en action, à chaque heure de la vie, dans toutes les conditions, sous toutes les faces, et c’est ce qui attache un étrange intérêt à la reproduction qu’on en fait, — intérêt non-seulement littéraire, mais politique aussi, — politique, parce qu’elles sont la condensation vivante des sentimens, des passions, des instincts spontanés d’une race, parce qu’elles forment la portion la plus réelle de son existence, celle dont les transformations ne s’improvisent pas, que les révolutions parviennent le plus difficilement à vaincre, et qui, lorsqu’elle est, par malheur, atteinte à son tour, laisse un pays, sans cohésion et sans point d’appui, livré au péril des crises sociales. L’histoire des mœurs ne se trouve-t-elle point être ainsi la plus véridique et la plus saisissante des histoires ? La lutte enflammée des idées n’y a-t-elle point son reflet ? Le choc des intérêts n’y a-t-il point son écho ? Tout, jusqu’à la persistance ou l’affaiblissement de la plus simple tradition populaire, de la coutume la plus ingénue, n’a-t-il pas sa lumineuse signification ? Une telle étude n’est point faite pour diminuer d’intérêt dans nos jours d’impérieuses transformations et d’invincibles résistances, dans cette