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oser ensuite recommencer d’éternelles plaintes sur l’oisiveté de la vie allemande, au moment où les révolutions de mars à Berlin et à Vienne avaient renversé l’absolutisme, où le parlement de Francfort se vantait de fonder une nouvelle Allemagne, où l’anarchie enfin recrutait de toutes parts ses ténébreuses milices ? De quelque côté qu’on se tournât, les occasions d’agir s’offraient en foule. Ces jeunes Tyrtées, en effet, ne renièrent pas leurs strophes de la veille, et, tandis que les plus paisibles siégeaient à Francfort, l’un d’entre eux, celui qu’on désignait comme le chef, engagé bien plutôt, j’en ai peur, par le souvenir de ses ardentes poésies que par l’appel sérieux de sa conscience, se jeta éperdûment au milieu des champs de bataille de la démagogie. Je ne veux rien écrire qui puisse blesser un vaincu ; mais, quand je vois M. Herwegh partager la fortune de M. Hecker, quand je vois l’ingénieux auteur des Poésies d’un vivant jeter le signal de la guerre civile et se faire battre au milieu d’une bande d’aventuriers pour rester fidèle à ses métaphores, je ne puis m’empêcher de signaler cette déplorable aventure comme la fin obligée, comme le naturel châtiment de la déclamation. On s’est trop habitué dans ce siècle à jouer avec les mots, on ne réfléchit pas assez qu’il y a des paroles qui tuent.

La poésie politique a donc été forcée au silence, et la campagne de M. Herwegh n’est pas faite pour lui rendre l’éclat de ses beaux jours. Après avoir tant aspiré aux mâles épreuves de la vie active, après avoir poussé tant de cris de guerre et d’orgueilleux appels, c’eût été une bonne fortune pour cette école de pouvoir chanter la gloire de ses jeunes chefs. Malheureusement, cette satisfaction lui est refusée ; la pièce est finie pour elle dès le premier acte. Si quelqu’un doit célébrer les aventures de cette légion française-allemande qui, sous les ordres de M. Herwegh, envahit le duché de Bade au mois d’avril 1848, ce ne sera, on peut l’assurer, ni M. Herwegh, ni ses amis. Il est résulté de tout cela que l’opinion démocratique a été médiocrement représentée dans la poésie depuis 1848. L’originalité doit être cherchée ailleurs ; je crois l’avoir rencontrée, par exemple, chez un poète autrichien, M. Bauernfeld, qui ne ressemble en rien à M. Herwegh. M. Bauernfeld est un esprit élégant et facile, une imagination légère qui représente bien le caractère viennois et a su devenir populaire dans son pays. Si.M. Bauernfeld n’est pas le chantre de la révolution, il n’en est pas non plus l’adversaire décidé. C’est un observateur ironique qui reproduit avec beaucoup de malice et de grace les transformations de la société allemande. M. Bauernfeld a surtout peur de déclamer ; là où le tableau demande des couleurs sombres, il s’amuse à de fines aquarelles ; là où l’indignation est de mise, il sourit. C’est ainsi qu’il nous a donné en deux petites comédies une peinture agréablement railleuse des révolutions de l’Autriche. Pour qui prendra-t-il parti ? Pour les insurgés