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ce n’est pas le tombeau du Christ, ce sont ces classes souffrantes opprimées, ces millions de malheureux courbés sous la misère, sous la maladie, sous l’impiété, sous le vice. Au premier rang de son armée, M. Merz voudrait placer les femmes ; il les convoque, il les exalte, il leur raconte la vie de plusieurs héroïnes de la charité, Élisabeth Fry, Sara Martin, qui ont édifié l’Allemagne et l’Angleterre dans la première moitié de ce siècle. Ces nobles personnes, dont il trace l’image avec amour, sont données par l’auteur comme le symbole de l’âge nouveau, comme les précurseurs de sa croisade. Puis, citant quelques belles paroles de M. Proudhon sur les saintes femmes qui consacrent leur vie à des œuvres de dévouement, il s’écrie : « Voilà ce qu’a dit Satan à l’hôpital des fous, que dira Dieu dans le ciel ? »

On ne s’étonnera pas qu’il y ait bien de la confusion dans les théories de M. Merz. L’ardeur même de sa prédication était peu favorable à la netteté de son étude, et la science de l’économie politique exige autre chose que ces enivremens de l’enthousiasme. Il y a, pour l’organisation des sociétés et les réformes qu’elles ont sans cesse à accomplir, bien des élémens essentiels que M. Merz ne paraît pas estimer à leur valeur. Qu’on ne prenne donc pas son livre comme l’œuvre d’un politique, c’est le manifeste d’une ame ardente et sainte. Sans doute, il s’expose à de douloureux mécomptes, s’il se croit assez fort pour inaugurer la période nouvelle dont il parle avec tant de cœur ; sans doute, le rocher ne se fendra pas à sa voix pour verser les eaux qui doivent abreuver le monde, et ces héroïques femmes qu’il célèbre si bien, ces Elisabeth Fry, ces Sara Martin, seront toujours, hélas ! comme les saint Vincent de Paul, des exceptions rares dans les tristes voies du genre humain. Qu’importent, encore une fois, ces illusions mystiques ? Si le but de l’auteur n’est pas atteint, si M. Merz n’embrigade pas des millions de soldats pour sa généreuse croisade, quelque chose restera pourtant de sa prédication, de bons sentimens seront propagés, et les œuvres de la charité fleuriront au souffle enflammé de sa parole.


III

La poésie politique était singulièrement bruyante avant 1848 ; le bruit de la mêlée l’a rendue muette. Ce résultat, après tout, semblait inévitable. On sait que les lieux communs à la mode, chez ces belliqueux chanteurs, pouvaient se résumer ainsi : « Quelle lourde atmosphère engourdit les ames ! l’action seule peut régénérer l’Allemagne. Vienne la révolution, vienne la guerre, aussitôt le poète sera un homme, et quittera la plume pour l’épée ! » C’est là ce que M. Herwegh avait chanté sur tous les tons, et, dans son ardeur impatiente, il appelait la guerre avec la Russie, avec la France, avec l’Europe entière. Comment