Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas dégradé par le libertinage, que le légitime désir d’acquérir ne tourne point à la cupidité, c’est la tâche du théologien de dégager sans cesse l’idée religieuse des superstitions qui l’obscurcissent. — « Fort bien, me dira mon adversaire ; seulement, dans ce partage que vous faites, vous avez retranché maintes choses qui sont pour nous une nourriture fortifiante et douce. Je réponds : Ce qu’il y a d’essentiel, d’indispensable dans la religion, ce sont des préceptes comme ceux-ci : Heureux l’homme dont le cœur est pur ! heureux celui qui possède l’esprit de paix et de miséricorde ! Ne jugez point, si vous voulez ne pas être jugés ; aimez votre prochain comme vous-même ; aimez vos ennemis et bénissez qui vous maudit. — Croyez-vous que je sois assez insensé pour enlever à la religion de telles maximes ? Dès qu’on les garde en son cœur et qu’on les réalise dans la pratique, à mon avis, tout est là ; avec cette règle de conduite, on est un citoyen honnête, un époux fidèle, un père dévoué, un voisin serviable ; on est surtout un homme vraiment bon, lors même qu’on élèverait les doutes de la science contre tous les miracles de la Bible. Telle est, dans son sens exact, ma profession de foi religieuse. »

Certes, il y a loin de ces paroles à la morale de la jeune école hégélienne. S’il nie la divinité du Christ, M. Strauss n’en conserve pas moins sa foi à l’enseignement pratique de l’Évangile. Il n’existe pas pour lui de loi morale plus pure, d’idée religieuse plus élevée et plus sainte que celle qui est contenue dans le sermon sur la montagne, et cette loi morale, il ne l’interprète pas, à la façon des démagogues, avec toutes sortes de mélanges menteurs et de profanations : il l’expose dans le vrai sens chrétien en recommandant le devoir et le sacrifice. On ne peut que féliciter M. Strauss d’avoir enfin songé à ce correctif de ses premiers écrits ; après avoir tant travaillé à détruire, il était urgent pour lui de dire très haut ce qu’il espère sauver au milieu des ruines. Cette déclaration, M. Strauss a essayé de la faire depuis quelques années, mais il n’y avait pas encore apporté autant de précision, ni surtout un accent si chrétien. Toute voix qui prêchera la morale de l’Évangile en face des ardeurs effrénées du panthéisme a droit d’être écoutée avec reconnaissance, et cependant cette profession de foi peut-elle suffire ? Si M. Strauss, malgré les belles paroles que je viens de citer, demeure attaché aux doctrines philosophiques de la jeune école hégélienne ; si, repoussant la divinité du Christ, il n’admet pas davantage la croyance à un Dieu personnel et libre ; si Dieu n’est pour lui qu’une force mystérieuse, aveugle, inconnue à elle-même, qui se cherche laborieusement sur tous les degrés de la nature, et n’arrive à une vie complète que dans la conscience de l’homme ; si M. Strauss, enfin, ne rejette pas le panthéisme de Hegel, que deviendra entre ses mains cette morale dont il parle,en si bons termes ? De toutes les superstitions