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que le socialisme hégélien, le seul sérieux, est la négation de toute idée religieuse. Ne préférez-vous pas cette brutale franchise à la démagogie hypocrite qui place ses fureurs sous l’invocation d’un Dieu de paix ?

L’état n’est pas mieux traité que la religion dans les almanachs d’outre-Rhin. Si la querelle de M. Proudhon et de M. Louis Blanc se renouvelait en Allemagne, l’inventeur de la banque du peuple n’aurait pas besoin de recourir à ces dramatiques apostrophes qui nous ont édifiés une fois de plus sur la touchante fraternité des socialistes ; M. Louis Blanc ne serait pas même écouté. Sur l’abolition de l’état, sur les mérites suprêmes de l’anarchie, il n’y a qu’une voix chez tous les fidèles de la démocratie hégélienne. Les uns exposent ce système avec une gravité magistrale, les autres avec une jovialité fantasque ; tous sont d’accord pour exterminer le pouvoir. L’Almanach du Peuple fait de l’érudition à ce sujet ; il consulte Tacite ; et il trouve avec joie, dans le livre XIII des Annales, chapitre LIV, que les hordes barbares des premiers siècles étaient à peine gouvernées : Nationem eam regebant, in quantum Germani regnantur. Beaucoup moins érudit, l’Almanach des Sujets et des Valets est bien autrement original : « La société, s’écrie-t-il, est une bouteille de vin de Champagne, les gouvernemens sont les bouchons ; faisons sauter les bouchons et buvons le champagne ! » Que vous semble de cette bachique formule ? N’est-ce pas la philosophie hégélienne mise à la portée des plus simples ? Chez les jeunes hégéliens, le bouchon n’est pas seulement l’état, c’est tout pouvoir, toute autorité, tout ce qui contient ou limite l’action de l’homme, depuis Dieu lui-même jusqu’aux principes élémentaires de la morale. Cette philosophie est restée long-temps cachée sous un grave appareil scientifique, et depuis dix ans tous ses docteurs ont redoublé d’efforts pour populariser la bonne nouvelle. Ne pensez-vous pas que le monde en possède aujourd’hui l’expression la plus claire ? C’est l’Almanach des Valets qui l’a trouvée.

Une branche curieuse de la littérature politique au-delà du Rhin, ce sont les études sur la France de 1848. La révolution de février a obtenu des juges, des appréciateurs en Allemagne, et vraiment nous devons en être très reconnaissans à nos voisins. Je ne sais comment il s’est fait qu’un événement si considérable n’ait pas encore trouvé chez nous un historien quelconque. M. de Lamartine a écrit l’histoire de M. de Lamartine, M. Louis Blanc l’histoire de M. Louis Blanc, M. Proudhon l’histoire de M. Proudhon : en vain cherchons-nous partout un récit impartial, nous ne trouvons que des apologies personnelles. À lire ces justifications fastueuses ou ces plaidoiries embarrassées, ne semble-t-il pas que nos héros soient des accusés sur leurs bancs ? Vraiment ce spectacle est triste et pourrait ébranler la foi la plus robuste. Par bonheur, M. le docteur Bamberg n’a joué aucun rôle dans la révolution de février, et l’histoire qu’il nous en donne ne ressemblera