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Ce qui distingue ces notes, c’est l’imperturbable vanité de l’auteur et la candeur parfaite de ses confidences. Les moindres détails de ses entrevues avec nos ministres, l’attitude de ses interlocuteurs, les choses les plus frivoles, leurs cravates, leurs paletots, leurs cigares, tout cela est consigné par lui avec une gravité majestueuse, et il arrive à faire, sans le savoir, les plus amusans tableaux de genre. Figurez-vous le marquis de Dangeau écrivant, depuis le lever jusqu’au coucher du roi, tous les menus événemens de la cour : la cour, dans les Lettres de M. de Raumer, c’est surtout l’hôtel des affaires étrangères, et Louis XIV s’appelle M. Bastide. À travers toutes ces scènes de comédie, on trouvera dans ce livre d’assez curieux détails sur les affaires d’Allemagne et d’Italie, et sur la manière dont l’administration du général Cavaignac les considérait alors ; mais ce qu’on y trouvera surtout, ce sont des renseignemens inappréciables pour l’histoire des relations diplomatiques en l’année 1848. M. de Raumer raconte que le ministre des affaires étrangères à Francfort, M. de Biegeleben, se défiant de l’inexpérience de son envoyé, lui offrit le classique manuel de Martens ; l’ambassadeur n’en voulut pas, et, arrivé à Paris, il s’assura bien vite qu’il avait eu raison. « Je vous l’avais bien dit, écrit-il fièrement au ministre, le manuel de Martens ne m’eût servi de rien, l’ancienne diplomatie n’existe plus. » Les deux volumes de M. de Raumer sont la confirmation péremptoire de cette vérité.

À cette liste ajoutez une intéressante biographie de l’archiduc Jean, par M. Schneidawind, et une étude sympathique de M. Levin Schücking sur M. le baron Henri de Gagern : vous aurez à peu près tout ce qui mérite d’être mentionné dans le sujet qui nous occupe. Voilà donc pour l’assemblée de Francfort ; faut-il parler maintenant des brochures sans nombre qu’a dictées la révolution de Bade ? Non, de telles choses n’appartiennent pas à l’histoire des lettres. Ces manifestes, ces proclamations, ces récits tachés de sang, ces accusations que les démagogues se jettent et se rejettent au visage, ces cris de vengeance et ces menaces horribles, tout cela, Dieu merci, n’a pas de place dans le tableau des œuvres de l’esprit. Laissons M. Struve injurier M. Brentano, qui le lui rend avec usure ; laissons ces glorieux tribuns se prouver l’un à l’autre, pièces en mains, leurs brigandages et leurs lâchetés. Que les jacobins de Carlsruhe et de Manheim réimpriment sous leurs noms les articles de Marat ; que M. Charles Heinzen, M. Loewenfels. M. Neff, demandent des millions de têtes nous signalerons ces documens hideux à l’historien des fureurs démagogiques, nous ne les jugerons pas ici. La critique littéraire, l’étude des travaux de la pensée n’a rien à faire avec ces rugissemens de bête fauve. J’en dirai presque autant de tous les livres inspirés par les événemens de Vienne et de Berlin ; non qu’il y ait là les mêmes fureurs, mais de pareils écrits