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Les quakers, au contraire, l’ont revendiquée en pratiquant la patience, l’humilité, l’abnégation. Nos tribuns et nos philanthropes prêchent l’émancipation de l’humanité en imitant Nayler, en se divinisant eux-mêmes, en ne doutant de rien, en glorifiant et excitant partout la révolte. Les quakers, au contraire, ont commencé par renoncer à toute violence, et chaque jour ils ont de plus en plus renoncé au dédain de l’expérience acquise et de la raison d’autrui. Nos tribuns et leurs adhérens, s’ils continuent, prouveront seulement qu’ils ne sont pas d’âge à être relevés de tutelle ; les quakers, de leur côté, ont prouvé qu’une partie au moins du genre humain avait renié l’hérésie qui rend inévitable la contrainte de l’autorité. Quel que soit le sort réservé à leur église, ils méritent notre respect, ils ont bravement combattu pour nos vrais autels et nos vrais foyers ; ils sont la première communion religieuse qui ait pu fonder quelque chose en reconnaissant l’indépendance du sens propre. Si leur doctrine n’a pas trouvé moyen de concilier les droits de la société avec les besoins de l’individu, leur conduite, en tout cas, a résolu le problème. D’autres viendront sans doute qui sauront mieux qu’eux imaginer un salutaire compromis entre l’autorité et sa vieille ennemie. Un jour, espérons-le, les hommes finiront par renoncer à une hypothèse qui n’a enfanté que luttes et haines. À force de voir que les révélations individuelles ne sont nullement d’accord, ils se résigneront à en conclure que peut-être la vérité n’est pas une, et ce sera là une des bases de la nouvelle charte octroyée à la liberté. Comment la vérité peut-elle ne pas être une, puisque la réalité est la même pour tous ? Cela est incompréhensible, inexplicable, rien de plus certain, et il en est ainsi de l’électricité, de la vie, de la digestion du moindre insecte, de tout ce qui est. Nous imaginerions-nous, par hasard, que nous n’admettons toutes ces choses que parce que nous les comprenons ? Le compréhensible est simplement l’incompréhensible, tel qu’on est habitué à le voir. S’il nous faut une explication, d’ailleurs, nous pouvons nous dire que la réalité est comme le soleil, que la vérité pour chacun est comme la couleur dont le soleil le colore, et que l’indigo, parce qu’il est teint en bleu par la lumière, n’a pas droit de nier qu’elle teigne en rouge le cinabre. Qui nous dit que nos idées, nos manières de voir, qui nous semblent la contre-épreuve des réalités extérieures, ne sont pas uniquement l’image de leurs effets sur des individualités différentes ? Qui nous dit surtout que dans les vues du Créateur il ne fallait pas des milliers de conceptions différentes, comme des milliers d’organismes dissemblables, pour produire l’harmonie providentielle ?


J. MILSAND.