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horizon peu étendu, elle avait souvent la vraie poésie, celle des sentimens comme ils naissent naïvement dans une ame élevée et cultivée.

À défaut d’artistes et de romanciers, les quakers sont riches en un genre de littérature qu’ils ont presque créé dans les temps modernes. Je veux parler de leurs mémoires et de leurs biographies. Saint Augustin le mystique avait raconté sa vie intime. La foi mystique des disciples de Fox les a naturellement entraînés à suivre son exemple. Presque tous leurs hommes de marque ont écrit l’évangile de leur Christ intérieur, et, après leur mort, ceux qui restaient derrière eux ont généralement recueilli leurs lettres et leur histoire. Chaque génération a ainsi payé son tribut ; les annales psychologiques de la Société des Amis sont complètes ; elles le sont dans tous les sens, car ceux qui se sont confessés l’ont fait sans réticence, et, pour s’analyser, ils ont eu cette seconde vue du savant, qui, à force d’observer, arrive à distinguer dans un tapis de verdure des milliers de formes invisibles pour un œil moins exercé. De Fox à Allen, non-seulement il nous est possible de voir se dérouler sous nos yeux les actes et les destinées des Amis : nous pouvons encore assister à l’engendrement secret de leurs actes, à tous les phénomènes intimes de leur être, à toutes les transformations spirituelles qui ont élaboré en eux les variations extérieures de leur destinée.


V. - CONCLUSION.

De Fox à Allen, des figures bien différentes l’une de l’autre se sont constamment succédé : la route a été longue, elle a été droite aussi ; il y a quelque chose d’enivrant à voir tant de force de croissance dans un rameau de l’arbre humain. Jamais pareille évolution n’avait eu lieu sous le soleil. Les archives seules du quakérisme sont comme un tableau synoptique de tous les degrés de développement qu’il a été donné jusqu’ici à l’homme de parcourir. Ce qu’elles nous apprennent surtout, si je ne me trompe, c’est que ce ne sont pas les doctrines qui font les caractères, c’est que nos actions, nos volontés et nos conceptions ne dépendent pas exclusivement de nos principes. Chez des natures instinctives et rudimentaires, les principes des Amis pouvaient enfanter un dangereux fanatisme, une folie toujours prête à prendre ses caprices pour des volontés du ciel. Chez des êtres abstraits et raisonneurs, plus portés à réfléchir qu’à observer, les mêmes principes pouvaient enfanter un aveuglement non moins dangereux, un radicalisme obstiné à tailler et retailler le monde sur son idéal à priori. Ces deux phases, les quakers les ont en effet traversées. L’enthousiasme avait été leur point de départ, l’esprit de système est venu plus tard Barclay après Fox, mais après Barclay autre chose. Les principes officiels