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prononça quelques mots en public, elle en fut tout épouvantée, et, rentrée chez elle, elle écrivait ces autres paroles si caractéristiques « Mon Dieu ! gardez-moi de prendre en vain votre nom. » Cette tendance à douter de soi-même est un trait saillant des quakers contemporains. Un mâle sentiment de responsabilité respire chez leurs hommes d’élite. Ils se respectent comme un temple et se prennent eux-mêmes au sérieux. Observer avant de juger, faire silence pour écouter, revenir écouter de nouveau, et craindre constamment que la lumière ne soit qu’un météore trompeur, telle est leur manière de consulter l’oracle.

Certes, si les quakers sont encore asservis à de puériles formalités, on le leur pardonne sans peine, car les apparences ne leur ont pas fait oublier la réalité. Sous leurs simples dehors réside une majestueuse virilité. Ils se reprochent, comme un mensonge, de n’avoir pas exprimé toute leur pensée de peur de blesser quelqu’un. Nul faux-fuyant n’est admis. La crainte de froisser les susceptibilités d’autrui est démasquée, et, sous son vrai nom, ils la proscrivent comme une pusillanimité qui vient du désir de plaire. Devant eux, on se prend à rêver un monde où l’on pourrait croire au moindre sourire, à la moindre parole d’approbation, parce que le blâme ne se déguiserait jamais, pas même sous le silence ; un monde de franchise et de justice aussi, où chacun serait assez sage et assez réservé dans ses jugemens pour être chargé du devoir de punir, et travailler ainsi, comme un grand-justicier, à faire respecter les choses saintes.

En montrant comment les quakers pratiquent la charité, j’ai passé en revue à peu près toutes leurs œuvres. Les statistiques des prisons, des écoles et des établissemens de bienfaisance ont été les romans de leurs heures de loisir. Comme un ordre monastique, ils n’ont eu qu’une spécialité. Probablement, ils auraient été des ouvriers moins actifs dans cette spécialité, s’ils n’avaient pas été une exception parmi les hommes ; probablement aussi ils ont fermé bien des voies fort légitimes à leur activité, en voulant astreindre le chrétien à ne vivre que par une seule faculté. Ainsi, ils ont fourni peu de poètes et d’artistes. L’imagination, l’épanchement des impressions artistiques et le talent d’émouvoir se sont trouvés enveloppés dans la proscription dont ils avaient frappé le mensonge, la futilité, tout ce qui distrait l’homme de la réalité des réalités. Benjamin West est à peu près le seul peintre qu’ils aient à citer (peintre bien froid, surtout dans ses sujets historiques), et la liste de leurs poètes n’embrasse guère que John Whittier l’Américain et Bernard Barton l’Anglais. Le premier écrit encore des vers lyriques ; le second est mort récemment après avoir publié plusieurs volumes de méditations et de morceaux descriptifs : son inspiration était grave, simple, religieuse, et, quoique renfermée dans un