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Étienne Grellet. La société, — qui n’a jamais cessé de veiller avec une sollicitude maternelle sur les groupes disséminés de sa famille religieuse, — avait chargé les deux missionnaires de visiter Stavanger en Norvège, Pirmont en Allemagne, et quelques autres villages quakers. Ce n’était là qu’une partie des instructions qu’ils avaient reçues. Ils devaient aussi se mettre en rapport avec les hommes charitables des divers pays de l’Europe, s’entretenir et prier avec les hommes pieux de toutes les communions, s’enquérir de l’état moral et religieux des populations. L’ancien esprit de prosélytisme des Amis a bien changé de forme, on le voit. Leurs apôtres parcourent maintenant le monde pour propager les institutions de prévoyance et tous les progrès de nature à soulager les misères ou à moraliser l’ignorance. Loin de porter témoignage contre les croyances qu’ils ne partagent pas, voici comment ils confessent leur foi au nom de la société entière :

A CHARLES-JEAN, ROI DE SUÈDE.

« Inspirés, nous l’espérons humblement, par cet amour chrétien qui désire l’éternel bien-être de tous les hommes, nous avons cru de notre devoir de traverser tes états et de saluer partout ceux qui aiment sincèrement notre Seigneur Jésus-Christ, quelle que soit la forme de religion qu’ils professent ; car nous ne connaissons nulle distinction de secte et de parti, convaincus que la véritable église est composée de tous ceux qui s’efforcent fidèlement de connaître et d’accomplir la volonté du ciel à leur égard. »

Cette lettre était signée par Allen et Étienne Grellet. La France aussi a reçu plusieurs fois la visite du bon quaker anglais ; elle a encore reçu celle d’un autre missionnaire de la société, mistress Fry. À son nom se rattache une des grandes réformes de notre siècle, la réforme pénitentiaire. Comme Allen, elle avait le génie pratique et le don d’entraîner les hommes ; comme lui, elle possédait la plus merveilleuse et la plus rare des facultés, une activité toujours maîtresse d’elle-même et toujours capable de mener de front mille affaires. Les sociétés bienfaisantes sortaient de terre sous ses pas. Pour elle-même, elle prit la part la plus pénible. Elle était riche, elle était épouse et mère ; elle n’en vécut pas moins au milieu des cachots et de leurs habitans. Elle avait un talisman pour dominer les bêtes fauves. Suivant le mot de Crabbe : « A travers tout ce qu’il y a de vil et de dépravé, elle s’ouvrit une route, la route que s’ouvrent les anges en combattant les puissances des ténèbres pour faire pénétrer la lumière. » En ce moment, à peine nous est-il possible de nous figurer ce qu’étaient, il y a trente-cinq ans, presque toutes les prisons de l’Europe. Les détenus de tout genre, condamnés ou prévenus, y étaient entièrement confondus. Les femmes et les hommes y couchaient pêle-mêle au milieu des immondices. L’ivrognerie, la brutalité, l’immoralité, y régnaient librement à la faveur