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celle-ci répondit à ses attaques en lui enlevant la liberté de la révoquer en doute, et en nommant suggestions de l’esprit de ténèbres les lumières intérieures qui se prononçaient contre elle. — Il y avait long-temps du reste que ce résultat se préparait. Du temps de Fox, les révélations immédiates avaient pu être abandonnées à elles-mêmes ; la foi générale de l’époque les garantissait assez contre les dangers de l’incrédulité ; mais depuis lors les choses avaient bien changé. À la foi générale avait succédé une indifférence presque universelle, et, contre ce nouvel ennemi, la Société des Amis n’avait pas grand secours à attendre d’une hypothèse. Peu importait qu’elle eût démontré comment le Christ intérieur ne pouvait contredire la révélation écrite. En disant à ses membres de prendre pour évangile leurs idées instinctives, elle-même leur avait en quelque sorte recommandé de se laisser entraîner par les opinions du jour, et, en dépit de ses démonstrations, c’était là ce qui avait eu lieu. Nous avons pu juger déjà que chez Hannah Barnard et ses disciples, à la fin du XVIIIe siècle, la lumière intérieure était de la même école que Franklin et toute la philosophie du moment. Avec le déisme était venue la tiédeur. Durant la dernière moitié du même siècle, les mœurs s’étaient bien relâchées. Les quakers américains surtout n’avaient pas pu s’arrêter sur la pente qui conduit de la fortune au luxe. L’éducation était devenue plus mondaine. La musique et la danse avaient cessé d’être proscrites. Le grand chapeau et l’habit sans boutons étaient abandonnés par bon nombre de jeunes gens, et plus d’une jeune femme se dispensait volontiers du capuchon noir, du tablier vert et des étoffes moroses. Ces vanités sans doute n’avaient atteint qu’une portion de la société. À côté des tièdes ou wet quakers (humides), il y avait les stricts, les dry (secs). Tandis que les uns allaient à l’indifférence, d’autres redoublaient d’exaltation et formaient même une secte à part (sous le nom de Nicholites) pour renchérir sur la discipline primitive. Toujours est-il que la contagion avait bien réellement gagné la Société des Amis comme les autres communions religieuses. On peut retrouver les traces de toutes ces choses jusque dans les Mémoires de mistress Fry. Elle aussi, dans sa jeunesse, était livrée à l’esprit mondain et aux bottines de satin rose ; elle aussi aimait la musique militaire et les éclairs dorés des épaulettes ; elle aussi, pour tout dire, était un esprit fort, bien que dans ses rêves de jeune fille elle regrettât de ne pas avoir de dévotion. Et plus tard, alors même qu’elle eut pleuré à la voix d’un Ami d’Amérique, elle s’effraya long-temps encore de l’impression qu’un quaker avait pu produire sur elle. William Savery lui avait prophétisé qu’un jour elle serait une des lumières de son église ; déjà elle n’était plus la même, déjà elle avait senti la foi s’éveiller en elle, et pourtant elle écrivait dans son journal « Surtout pas d’exaltation ; me défier de l’enthousiasme. » Par la suite elle devint un des ministres les plus zélés de la société. Peut-être n’avait-elle