le général en chef de lancer des proclamations magnifiques, des ordres du jour qui laissent bien loin derrière eux toutes les hyperboles de la jactance castillane. Les journées d’Austerlitz et de Marengo sont éclipsées par les hauts faits des Péruviens. Jamais armée n’a accompli ce qu’ils viennent d’accomplir. Aussi est-il fier de les commander. L’Europe entière a les yeux sur eux, et le monde va apprendre avec étonnement et admiration la nouvelle de leur victoire ! En même temps, pour combler les vides que la mort, comme je l’ai dit, n’a pas tous faits, on fait entrer les prisonniers dans les rangs de l’armée victorieuse, où ils combattront, si la guerre se prolonge, le parti pour lequel ils allaient se faire tuer la veille. Et qu’importe à l’Indien le drapeau sous lequel il marche ? Un chef, pour lui, en vaut un autre ; du jour où il est entré sous les drapeaux, il n’est plus qu’un instrument entre les mains des ambitieux. Le cholo cependant est bien loin de manquer de courage. Il est robuste, infatigable et sobre. Un peu de maïs, quelques feuilles de coca[1], lui suffisent pour une journée. Avec de la discipline et de bons officiers, il n’est pas douteux que l’on pût développer chez lui de précieuses qualités militaires.
Rien n’est plus curieux que le départ d’une armée péruvienne qui entre en campagne. Des femmes et des enfans marchent au milieu de la longue file de soldats qui se déploie confusément dans la direction indiquée par les chefs. Des ânes, des mules chargés de bagages suivent la colonne et se jettent à chaque pas au milieu des rangs. Rien n’a été prévu d’ailleurs ; tout manque, les provisions, les soins, la paie même. Aussi vit-on presque toujours aux dépens du pays qu’on traverse, et les compagnes ordinaires du soldat, connues sous le nom de rabonas, remplacent pour lui l’administration militaire. L’usage d’emmener les femmes en campagne est d’origine indienne. Si l’on ne s’y soumettait, il serait impossible de retenir un seul homme sous les drapeaux. Épouses ou concubines du soldat, les rabonas sont avec lui partout, elles le suivent dans ses marches les plus pénibles, tenant quelquefois un enfant sur les épaules et un autre suspendu à leurs vêtemens. On a vu l’armée péruvienne commandée par le général Santa-Cruz faire jusqu’à vingt lieues par jour dans les montagnes sans que jamais les femmes l’abandonnassent. Cette persévérance est réellement remarquable. La rabona est cependant moins la femme que l’esclave du soldat. Battue, maltraitée trop souvent, elle ne touche aux repas qu’elle-même a préparés qu’autant que son rude compagnon veut bien les partager avec elle. Si dure et si fatigante que soit cette vie, la rabina semble l’aimer. Quand le soldat rentre dans sa caserne, elle l’y
- ↑ Plante qui croît au Pérou, et dont l’Indien mâche la feuille à peu près comme nos matelots mâchent le tabac.