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et sans trouble. Cette périlleuse épreuve le conduit au doute, et le doute devient un élément de désunion et de dissidence entre sa femme et lui. Le roman pourrait devenir pathétique et touchant, lorsque M. et Mme de Vaudreuil, perdant leur unique enfant, sont de nouveau rapprochés par le lien d’une douleur commune, et placés en face l’un de l’autre, devant un berceau vide, avec un enthousiasme éteint et une affection brisée ; mais l’auteur, au lieu d’entrer franchement dans une situation si favorable au développement des émotions vraies et des sentimens naturels, continue de décrire, chez ses deux principaux personnages, des phénomènes psychologiques qui les isolent, pour ainsi dire, du drame attendrissant dans lequel ils occupent la première place. Les deux époux finissent par revenir l’un à l’autre ; hélas ! à quel prix ? Jeanne de Vaudreuil, frappée au cœur, est atteinte d’une maladie mortelle ; son ame, prête à se détacher de ce monde, voit ses horizons s’agrandir, ses croyances perdre de leur aridité dogmatique pour s’élever à l’esprit même de l’Évangile. En d’autres termes, elle cesse d’être chrétienne pour mourir spiritualiste et déiste. C’est là un triste dénoûment, et il serait, ce nous semble, plus consolant et plus vrai que, sans entrer dans toutes ces subtilités de théologien ou de philosophe, la perte d’un enfant chéri, la vue d’une femme d’élite lentement conduite au tombeau par de douloureuses dissidences, anéantissent, chez M. de Vaudreuil, toute cette froide enveloppe de raisonnemens et de systèmes, et unissent enfin les deux époux dans une même foi et une même tendresse. On le voit, ce qui manque à ce roman, c’est le naturel : nous approuvons fort que le romancier préfère aux péripéties matérielles la peinture des faits intérieurs, du drame mystérieux dont l’ame humaine est le théâtre ; mais, pour éviter un excès, il ne faudrait pas tomber dans l’excès contraire, il ne faudrait pas oublier que ce drame intime ne peut se suffire à lui-même, qu’il doit se lier aux événemens qui l’expliquent, et surtout répondre aux sentimens qu’il éveille chez ceux que l’auteur y fait assister. Ajoutons qu’il serait bien temps d’en finir avec ce lyrisme religieux qui prétend embellir la religion pour se dispenser de la pratiquer, avec ces perpétuelles invocations au grand Etre, au Réparateur, au Christ, à l’immortel et universel amour, défigurés jusqu’ici par les traditions ou les dogmes, et rendus à leur pureté primitive par de nouveaux messies qui paraphrasent, assouplissent ou enjolivent à leur guise le catéchisme et l’Évangile. Notre siècle doit savoir à quoi s’en tenir sur la valeur réelle de ces esprits nébuleux ou excessifs qui affectent d’être plus, vrais que la vérité, plus justes que la justice, plus moraux que la morale et plus chrétiens que le christianisme. Il y a d’ordinaire, entre ce qu’ils rêvent et ce qu’ils font, un contraste fort instructif : leurs pratiques se mesurent à leurs passions et leurs théories à leur orgueil.

C’est à cette famille d’esprits malades, stériles, tourmentés d’une sorte d’idéal menteur qui ne leur permet de chercher ni le vrai dans leurs idées, ni le bien dans leurs actes, qu’appartient évidemment l’auteur du petit livre intitulé la Foi nouvelle cherchée dans l’art, de Rembrandt à Beethoven. Quand même nous ne saurions pas que l’auteur de ce livre pense et écrit sous l’influence immédiate et presque paternelle d’un de nos prédicateurs de réforme sociale, philosophique et religieuse, nous le devinerions au vague de ses aperçus, au chaos de cette intelligence où les notions d’art se transforment en élémens de croyance,