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Que de récriminations puritaines, jetées à tout ce que la société renferme d’abusif, de révoltant et d’immoral, dont on découvrirait la cause dans une rupture forcée avec ce monde qu’on cesse souvent de trouver digne de soi ; parce qu’on n’est plus digne de lui ! Voilà malheureusement ce que le peuple ignore et ce qu’il serait bon de lui rappeler ; il serait bon de lui redire que ces volontaires de la croisade socialiste, qui lui arrivent d’un camp opposé, ne sont pas toujours, comme il se l’imagine, de pures et nobles exceptions dans cette société égoïste ou corrompue, que ce n’est pas toujours par haine de l’iniquité, pitié pour les misères ou abnégation personnelle, qu’ils établissent ainsi un contraste entre leurs opinions et leurs intérêts apparens. Une plaie secrète, une blessure de vanité, le besoin de haïr, de calomnier et de combattre des lois qu’ils ont froissées et qui les condamnent, tel est souvent le seul mobile qui pousse ces recrues bizarres à changer de drapeau et de consigne.

Il y a d’étranges disparates dans l’ouvrage de Daniel Stern ; çà et là, il semble qu’on y retrouve l’écho lointain, le reflet fugitif d’un temps meilleur ; le nouvel historien de la révolution de février conserve encore de son passé je ne sais quelle trace confuse qui rend ses attaques plus doucereuses et plus perfides. En d’autres endroits de son livre, on se demande comment elle a pu être si bien informée, par quelles ramifications mystérieuses elle a pu pénétrer toutes ces régions souterraines de la conspiration de bas étage, avoir accès dans les coulisses de ces tristes comédies d’émeutiers, de factieux et de tribuns. Ces deux élémens singuliers, contradictoires, réminiscences de la grande dame déchue sachant encore ce qui se passe dans les palais, et initiation de la néophyte socialiste n’ignorant rien de ce qui se passe dans les clubs, se croisent et s’entremêlent dans cette Histoire de la Révolution de 1848 ; ils lui donnent un caractère particulier assez analogue au rôle même joué par l’auteur parmi les héros de cette révolution. Ces héros, elle les a vus de près, et elle nous donne successivement leurs portraits avec une complaisance de connaisseur et d’artiste. Ils y passent tous, et tous sont pris au sérieux, même M. Cabet, même M. Sue. Avons-nous besoin d’ajouter que, pour relever encore l’éclat de ces nobles figures, l’auteur a soin de leur opposer, comme contraste, les défenseurs de cette société où ses amis sont venus rétablir l’ordre, la justice, la vertu et l’harmonie ? Hélas ! la Revue des Deux Mondes a sa place dans cette galerie de personnages sacrifiés ; elle a sa part de l’indignation vertueuse de l’austère écrivain contre les corrompus st les corrupteurs. Pourquoi faut-il que cette pudeur posthume, à laquelle nous serions heureux de vouer une admiration sans mélange, soit quelque peu gâtée, dans nos souvenirs, par une circonstance que Daniel Stern a sans doute oubliée au milieu des soucis de son apostolat ? Pourquoi sommes-nous forcé, bien à contre-cœur, de nous rappeler qu’en 1844, en plein ministère Guizot, l’auteur de Nélida s’est livrée aux plus persévérans efforts pour s’introduire et se maintenir dans cette triste phalange de jeunes talens disciplinés et déprimés par la Revue ? C’est probablement qu’elle espérait nous convertir, ou qu’elle se sentait incorruptible ; car supposer que le mauvais succès de ses démarches d’alors est pour quelque chose dans son rigorisme d’aujourd’hui, qu’elle veut nous faire expier à distance le tort de n’avoir pas apprécié à leur juste valeur ses avances réitérées, ce serait donner à ses attaques rétrospectives une explication bien peu digne de ce détachement des