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de la centralisation. Il y a du vrai dans quelques-uns des reproches adressés au système administratif et financier de la France par l’honorable M. Hovyn de Tranchère ; mais à côté du vrai il y a des exagérations regrettables. Oui, l’intervention de l’état n’a pas toujours produit les effets qu’on aurait pu désirer. L’état n’est pas toujours un bon instituteur, un professeur irréprochable, un astronome assez vigilant. Les astronomes de l’état, quoique très savans, ne sont pas toujours les premiers à découvrir les comètes. L’état n’est pas toujours un constructeur habile, un entrepreneur économe. Nos ingénieurs, au lieu de se borner à faire des ouvrages utiles, ont trop souvent la manie d’élever des monumens. Les usines de l’état sont les plus dispendieuses de toutes. Leurs produits coûtent plus cher que ceux de l’industrie privée. Nous savions tout cela depuis long-temps, et l’administration elle-même n’en disconvient pas. De même, tout le monde est d’accord pour dire que l’intervention de l’état a exercé une influence fâcheuse sur le moral du pays. Elle a énervé les volontés individuelles. Elle a habitué chaque citoyen à ne pas se confier suffisamment dans ses propres forces et à attendre du gouvernement plus que de lui-même. Elle a eu aussi pour résultat, en multipliant les emplois, de surexciter les ambitions, et de créer, à côté d’une classe immense de fonctionnaires, une classe plus nombreuse encore de gens qui veulent à tout prix le devenir et qui font pour cela des révolutions. Voilà les torts de la centralisation administrative et politique : qu’y faire ?

C’est une raison sans doute pour corriger les abus de la centralisation ; mais est-ce une raison pour détruire la centralisation elle-même et pour mettre le moyen-âge à la place ? Veut-on que l’état n’ait plus que la police et la force publique à diriger ? Veut-on qu’il n’enseigne plus, qu’il ne professe plus, qu’il ne construise plus rien, pas même des temples et des églises ? qu’il ne subventionne plus rien, pas même le Théâtre-Français et l’Opéra ? Alors c’est une autre société que l’on veut. Ce n’est plus la société française telle qu’elle est sortie de 89 et telle que l’ont façonnée l’empire et le gouvernement représentatif. La société française est une démocratie, et c’est parce qu’elle est démocratie qu’elle échappera, nous l’espérons encore, à l’immense danger de devenir une démagogie. Dans une démocratie, les individus sont peu de chose par eux-mêmes, et n’ont de puissance que par la force collective qu’ils mettent entre les mains de l’état. La démocratie française ne ressemble pas d’ailleurs à la démocratie américaine. Elle n’est pas exclusivement vouée aux intérêts matériels. Elle a une littérature, une histoire, un passé dont elle s’honore, même en le calomniant. Elle aime à consacrer ses souvenirs dans des monumens. Elle a conservé le sentiment du beau et du grand dans les arts. Et qui pourrait encourager et diriger l’expression de ce sentiment, si ce n’est l’état, qui, s’il ne peut donner le génie, a au moins, pour le découvrir, pour le stimuler, pour le soutenir dans ses épreuves, des ressources que possèdent rarement les particuliers ? Par tous ces motifs, la démocratie française a besoin de s’appuyer sur le concours de l’état pour prospérer. Nous ne parlons pas d’ailleurs des raisons d’indépendance territoriale et de susceptibilité nationale qui imposent à la France une forte centralisation politique. Les adversaires du budget et de la centralisation nous citent toujours l’exemple de l’Angleterre. On leur a répondu mille fois que l’Angleterre est une aristocratie, et que si le gouvernement