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faut bien, bon gré mal gré, si l’on ne veut pas perdre sa voix, voter pour la liste qu’ont formée par leurs votes les électeurs du premier degré. Que devient alors le suffrage direct de la constitution ? Autre observation dans l’élection préparatoire même, la liste qui est proposée aux suffrages des électeurs par le comité de l’union électorale a de grandes chances pour avoir la majorité, des électeurs qui prennent part à cette opération préliminaire. C’est ainsi que, cette année, les trois premiers noms mis sur la liste par le comité de l’union électorale ont été aussi les trois premiers noms qui sont sortis du scrutin préparatoire, si bien que, même à ce premier degré, le suffrage non plus n’est pas direct, et que le comité de l’union électorale est amené, malgré lui, à voter pour les électeurs. Et notez bien que nous ne voulons pas ici blâmer l’union électorale, personne ne reconnaît plus hautement que nous les grands services que rend cette union ; mais la nature du suffrage universel l’emporte sur les intentions de l’union électorale. Le suffrage universel ne peut pas agir seul ! il a besoin d’être préparé et dirigé, nous allions dire remplacé ou suppléé. Laissé à sa propre force, c’est un chaos ; il lui faut pour pouvoir marcher des lisières et des guides ; il a besoin, enfin, d’abdiquer entre les mains de quelqu’un. Nous nous félicitons donc que, dans le parti modéré, le suffrage universel ait abdiqué entre les mains de l’union électorale. Nous nous en félicitons, mais nous le constatons.

Dans le parti socialiste, les choses se passent d’une manière bien plus contraire encore à l’article 24 de la constitution. C’est là que le suffrage direct se trouve complètement aboli : il n’y a pas d’élection préparatoire pour former la liste proposée aux suffrages des électeurs définitifs. Ce respect de la liberté des votes ne convient qu’aux hommes qui se rattachent aux habitudes de la monarchie constitutionnelle. Le socialisme a des allures plus oligarchiques, et plus dictatoriales. Un comité qui se nomme et s’installe lui-même, à peu près comme s’est nommé et installé le gouvernement provisoire le 24 février 1848, rédige une liste et l’imprime ; puis les électeurs sont tenus de la voter, sous peine de perdre leurs voix. N’êtes-vous pas édifiés de la liberté et de la vérité du suffrage universel ainsi enrégimenté, ainsi discipliné ? Quelques dictateurs de bas étage au lieu d’un peuple, voilà le suffrage universel, tel que l’entend et le pratique le parti socialiste.

Ne craignons pas de le dire, puisque l’expérience le dit plus haut que nous, le suffrage universel, tel qu’il est organisé chez nous avec le scrutin de liste et le vote au chef-lieu, est un mensonge et un danger perpétuel. Nous sommes même forcés de remarquer que la constitution se contredit d’une manière évidente dans l’organisation du suffrage universel, quand on rapproche l’un : de l’autre l’article 23 et l’article 30.

Que dit l’article 23 ? « L’élection a pour base la population. » Voilà un principe tout-à-fait analogue au principe et à la source même du suffrage universel, Le suffrage universel en effet procède du droit qu’on attribue au nombre. Selon le suffrage universel, on ne vote pas parce qu’on est capable de voter, capable de discerner le bien du mal ; on vote parce qu’on est homme. Si on vote parce qu’on est homme, il faut que le vote d’un homme soit égal au vote d’un autre homme, il faut que chaque vote ait lui égal effet, comme il a une égale valeur. Il ne faut pas surtout que le vote d’un habitant du Finistère ait