Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/17

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec l’Europe, et iront échanger les produits de notre industrie contre des richesses naturelles trop long-temps négligées. Les Espagnols ne s’étaient guère préoccupés de ces richesses, et les montagnes de la côte convenaient mieux que celles de l’intérieur à ces conquérans installés en si petit nombre dans un pays où les communications étaient d’ailleurs si difficiles. Le Pérou espagnol, si je puis m’exprimer ainsi, ne comprend guère que la langue de terre qui s’étend du Chili à l’Équateur, sur les côtes de l’Océan Pacifique. C’est là que se sont élevées, dans un fouillis inextricable de montagnes et de plateaux, les grandes cités hispano-américaines, presque toutes à portée de la mer, sillonnée incessamment par les galères de la métropole. C’est là que se concentre la vie politique du Pérou. Les diverses phases de cette vie agitée se sont tour à tour déroulées au pied de ces âpres montagnes, tantôt à Aréquipa, tantôt au Cusco, tantôt à Lima. Il convient de nous arrêter un peu sur ce théâtre du drame dont nous avons à retracer les principales scènes.

La configuration même du Pérou suffit presque pour expliquer la multiplicité des révolutions qui s’y sont succédé. Les villes, séparées les unes des autres par de grandes distances, enfouies dans les terres, ou perdues sur le bord de l’Océan, ne peuvent y vivre que difficilement d’une vie commune. Ces grands centres de population, chefs-lieux puissans de provinces rivales et jalouses, sont reliés à peine entre eux par de mauvaises voies de communication[1]. Plus d’une fois Aréquipa, le Cusco, ont rêvé de s’ériger en capitales indépendantes. Entre ces chefs-lieux de provinces, d’autres villes, moins considérables, servaient de satellites à leur ambition plutôt que d’obstacles à leurs projets : c’étaient Tacna, Puno, le Cerro, et enfin les nombreux ports de l’Océan Pacifique, dont l’importance s’accroît tous les jours : Arica, qui exporte presque tous les produits de la Bolivie ; Iquique, qui nous donne ses salpêtres ; Islay ; d’où s’extraient les laines du Collao ; Pisco, devant lequel sont les îles Chincha, où nos navires vont charger le huano ; le Callao, qui est le port de Lima ; Payta, non loin duquel se récoltent les cotons qu’on demande au Pérou. Ces villes, d’ailleurs, et un faible rayon autour d’elles, sont les seuls points habités du Pérou. Le reste du pays est désert, et, sauf des groupes de cabanes dressées sur le bord des rivières, de petits villages qui ne méritent pas

  1. Il est juste de reconnaître que des améliorations ont été récemment introduites dans le système des voies de communication au Pérou. Ainsi, tous les ports de cette république sont aujourd’hui parfaitement reliés entre eux par un service de bateaux à vapeur, que les Anglais ont établi de Valparaiso à Panama ; mais l’époque n’est pas encore bien éloignée où le voyage d’Arica au Callao, contrarié par le vent du sud, durait quelquefois douze ou quinze jours, au lieu de quarante-huit heures, qui suffisent amplement aujourd’hui pour ce trajet.