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pleine de réminiscences, et pourtant elle n’est pas sans originalité ; c’est une nouvelle langue latine, toute différente de celle du moyen-âge, plus pure, plus correcte, plus élégante, et qui cependant n’est pas non plus la langue de l’antiquité. C’est un mélange bizarre d’idées chrétiennes et de traditions païennes, une sorte de contraste entre la pensée et les mots, tout cela pourtant sauvé par une élégance et une grace originales. Je ne puis mieux comparer cette littérature qu’à la peinture même de cette époque. Ainsi, dans Raphaël[1], les sujets païens font le pendant des sujets chrétiens : l’École d’Athènes est placée en face du Saint-Sacrement, et le Parnasse avec Apollon et les Muses en face du Miracle de Bolsène. Souvent même les sujets chrétiens et païens sont mêlés dans le même tableau. Cependant, malgré ces disparates bizarres, la peinture de cette époque est neuve et originale. Le mérite de l’art couvre le tort des anachronismes. Il en est de même de la poésie : tout est confus et mêlé ; mais cette confusion ne manque ni de hardiesse ni d’agrément. On sent une pensée vigoureuse qui, en face de deux grandes sources d’inspiration, l’antiquité païenne et la religion chrétienne, essaie de puiser également dans l’une et dans l’autre.

Il faut, pour étudier et pour imiter l’antiquité, sans perdre soi-même toute originalité, il faut beaucoup de talent et même de génie. Les poètes médiocres échouent dans ce métier ; ils deviennent des copistes et des plagiaires ; ils font, sans le vouloir, des centons de Virgile ou d’Ovide. Les grands poètes savent seuls porter aisément le poids d’une pareille imitation.

Cette remarque s’applique avec justesse à Sannazar et à Vida ; car, selon moi, il y a entre eux une grande différence : l’un, Sannazar, est un poète original, quoique imitateur des anciens, et on sent partout dans ses vers l’inspiration de la poésie moderne, malgré ses mots et ses tournures imités de Virgile ; l’autre, Vida, est surtout un imitateur élégant, mais froid, et qui étouffe l’originalité des sujets modernes qu’il chante sous le poids de l’imitation de la phrase antique. L’un, enfin, me semble un poète moderne, quoique latin, et l’autre n’est qu’un versificateur. Justifions ces idées par l’examen de deux poèmes qui rentrent dans l’épopée chrétienne ; je veux parler du De Partu Virginie (la Naissance du Christ)[2] de Sannazar et de la Christiade de Vida.

Sannazar ne craint pas, en commençant son poème, d’invoquer les muses : « Et vous, muses, dit-il, divin appui des poètes, laissez-moi approcher de la source qui vous est chère ; laissez-moi pénétrer dans vos bois sacrés. N’êtes-vous pas toujours les filles du ciel ? n’avez-vous pas maintenu dans le vieil Olympe le culte de la virginité et de la pudeur ? Inspirez-moi

  1. Voyez les Stanze.
  2. Colletet a traduit ce poème sous ce titre : Les Couches de la vierge Marie.