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blocs calcinés jusque dans les flots. Ces montagnes forment un sombre amphithéâtre dont les divers étages font face à l’Océan. Deux chaînes à peu près parallèles courent du sud au nord ; une neige éternelle en couvre les tristes sommets, qu’aperçoit de loin le voyageur embarqué sur les nombreux bateaux à vapeur qui longent en toute saison les côtes de l’Amérique du Sud. Quelques petites rivières, coulant de l’est à l’ouest, répandent cependant un peu de fraîcheur sur ce morne paysage. Dans tous les enfoncemens où pénètrent leurs eaux, des orangers, des bananiers, des citronniers, hauts comme de jeunes chênes, forment de fraîches oasis sur le fond grisâtre des rochers. Entre chacun de ces petits vallons règne un véritable désert de sable, et l’espace compris entre les deux chaînes parallèles des Cordilières n’est lui-même qu’une suite de collines, de plateaux arides, où l’on ne rencontre que bien rarement des traces de culture. Sur ces hauteurs stériles, l’Indien mène tristement sa vie pauvre, monotone et insouciante, au milieu des nombreux troupeaux de llamas, d’alpacas, dont les marchands de la côte viennent tous les ans lui acheter les laines. C’est pourtant dans les plus sombres gorges de ces montagnes, dans leurs profondeurs les plus désolées que se cachent des mines d’argent, de fer, de cuivre, de mercure, de plomb, justement célèbres dans le monde entier ; c’est là que les Espagnols venaient chercher ces lingots dont ils chargeaient leurs galions ; c’est là que le commerce trouve encore l’argent que le Pérou envoie tous les ans à l’Europe en échange des marchandises et des produits de l’ancien continent.

Tel est l’aspect des Cordilières dans la partie occidentale, celle qui avoisine l’Océan. Le versant oriental n’est pas moins digne de l’attention du voyageur. Au pied de ce versant commence le vaste plateau des Amazones, où déjà se révèle la puissante végétation du Brésil. Ces magnifiques contrées ont échappé jusqu’à ce jour à la domination des Européens ; quelques Indiens nomades en sont les seuls habitans. Les Chipeos, les Caparachos, les Antis, tels sont les noms des tribus principales auxquelles appartiennent ces tristes descendans des hommes que vainquit Pizarre. Bien que de courageux missionnaires les aient visitées quelquefois et tenté de les instruire, on sait bien peu de chose sur les sauvages habitans des bords de l’Amazone et de ses principaux affluens, l’Ucayali, le Beni, le Montaro. On peut affirmer seulement que, s’ils ont défendu jusqu’à ce jour leur indépendance contre les efforts de la domination européenne, ils n’ont gardé aucune trace de la civilisation des anciens Incas.

Le versant des Cordilières qui avoisine l’Amazone est cependant la plus belle partie du Pérou, celle qui semble appelée au plus brillant avenir, quand nos bateaux à vapeur, remontant les grands fleuves de l’Amérique du Sud, la mettront pour ainsi dire en communication directe