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de Louvet sur l’entrevue de Barbaroux et de Charlotte ne sont pas dictées par un goût très délicat. Le souvenir de Faublas intervient assez mal à propos. Le pardon de Charlotte se comprendrait plus facilement sans ce malencontreux souvenir, car sans doute Charlotte, qui n’a pas lu les Amours de Faublas, en a plus d’une fois entendu parler, et le nom seul de ce livre, rapproché de son nom, doit offenser sa pudeur et sa fierté.

Je n’aime pas la scène qui se passe au Palais-Royal, quoiqu’elle soit applaudie. Ce club en plein vent, cette harangue débraillée, interrompue par de plats quolibets, s’accorde mal avec la gravité du sujet. Il ne sied guère de tourner en ridicule cette foule ignorante que Marat gouverne à son gré, qui obéit aveuglément à tous les caprices de son maître, dont la colère une fois déchaînée ne recule devant aucun crime. Chercher dans les passions, dans les espérances, dans les illusions de la foule, un sujet de rire, est, à mes yeux, une étrange aberration que la morale réprouve aussi bien que le goût. L’achat du couteau en présence du spectateur n’est qu’un détail inutile. Les caresses prodiguées par Charlotte à l’enfant qui vient jouer près d’elle amènent sur les lèvres de l’héroïne des paroles attendrissantes ; mais je renoncerais de grand cœur aux petites filles qui dansent en rond, aux petits garçons qui sautent à la corde, et je verrais même disparaître sans regret la jeune mère qui demande à Charlotte son état, ses ressources, et qui, la voyant pour la première fois, lui offre une place dans l’atelier et à la table de son mari. L’amour du simple et du naturel entraîne ici M. Ponsard beaucoup trop loin.

Enfin, nous sommes chez Marat. Danton et Robespierre délibèrent avec lui sur le parti qu’ils doivent prendre. La république leur appartient ; que vont-ils en faire ? La scène est bien posée, bien conduite. Les trois personnages se dessinent tour à tour, j’allais dire se confessent, avec une franchise qui ne laisse rien à désirer. C’est, à mon avis, la plus belle scène de l’ouvrage. Le langage de Robespierre contraste heureusement avec le langage de Danton et de Marat. Le rhéteur, l’homme d’action et le fou sanguinaire se justifient tour à tour avec adresse, avec audace, avec effronterie, échangent les conseils et les railleries, les reproches et les menaces. Cette délibération suffirait seule pour assigner à M. Ponsard un rang élevé dans la poésie contemporaine. Le monologue de Marat nous révèle pleinement tous les secrets de l’ami du peuple. Quand Marat s’écrie : O mort ! attends un peu ; quelques têtes encore, et puis tu me prendras, le frisson vous saisit, et l’on ressent pour le poète une admiration mêlée d’épouvante. Je n’ai rien à dire du meurtre de Marat ; l’attitude et les paroles de Charlotte après l’accomplissement de sa résolution héroïque sont ce qu’elles doivent être. Quant à la scène qui termine l’ouvrage, quoiqu’elle