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réclament des temps prospères. Qu’est-ce qu’on a fait dans ce genre chez nous pendant la période d’une si remarquable prospérité qui de 1833 s’étend à 1847 ? Rien. Et voici pourquoi : si le gouvernement avait nourri de pareils desseins, s’il eût tenté de se rapprocher du système fiscal et commercial qui triomphe en Angleterre (il y a lieu de penser que sa propre inclination l’y portait), le ministère qui en eût fait la proposition à la chambre des députés eût été foudroyé par la majorité et par l’opposition coalisées. Je n’ai pas à rechercher s’il n’eût pas été beau de braver ces foudres ; je constate que les hommes d’état les entendaient toujours gronder au-dessus de leurs têtes.

Autre exemple. La conscription militaire est un impôt que je crois peu conforme au principe fondamental de l’égalité devant la loi. Il est extrêmement onéreux pour les classes ouvrières ; pour le riche, il se réduit à une contribution insignifiante. Ce système a d’ailleurs toute sorte d’inconvéniens. En Angleterre, la conscription n’existe pas ; c’est toujours dans ce pays, qu’on nous dépeint comme essentiellement aristocratique, qu’il faut aller chercher les institutions essentiellement populaires. L’armée anglaise ne se recrute que par l’enrôlement volontaire. L’abolition de la conscription a été promise chez nous depuis 1814 ; ce ne serait que revenir à l’ancien régime, qui, sur ce point, était meilleur ménager de l’intérêt populaire que nous. Les classes ouvrières, celles des campagnes surtout, seraient infiniment sensibles à cette amélioration. Or, qu’a-t-on fait dans ce sens pendant la domination des classes moyennes ? Rien encore. Les propositions qui eussent allégé cet impôt sans rien coûter au trésor public n’ont cependant pas manqué. Elles se sont produites quelquefois sous le patronage de noms illustres ; mais les meneurs des classes moyennes n’ont pas jugé le sujet digne d’eux. Ils avaient bien d’autres affaires ! Ceux qui se montraient les plus ardens pour les principes de liberté et d’égalité s’occupaient d’émouvoir la nation à l’occasion d’un missionnaire obscur du nom de Pritchard, qui, sur une petite île de l’Océan Pacifique, où flotte notre pavillon on ne sait pourquoi, s’était fait malmener par nos marins pour son prosélytisme acrimonieux, et que le gouvernement, par un sentiment de probité, indemnisait des pertes matérielles qu’il avait subies. Chose pénible à avouer, les classes moyennes se laissaient persuader que cet incident misérable était la grande affaire du temps. On sait que ce fut le mot d’ordre aux élections générales de 1842, et que le ministère y fut battu[1].

  1. La majorité se trouva cependant acquise au ministère, parce que la mort du duc d’Orléans, qui suivit de quelques jours les élections, fit une vive impression dans le public, et retourna quelques députés. Sans ce fatal événement, le ministère était renversé pour le fait de l’indemnité Pritchard.