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sablonneuses du Pérou n’ont pas sans doute pour le voyageur le même attrait que les riantes plaines de San-Francisco : il y a là néanmoins un travail de régénération politique et commerciale que la France doit observer avec sollicitude ; et n’est-ce pas, après tout, un spectacle curieux à plus d’un titre que celui d’une société qui passe de l’anarchie la plus complète au déploiement régulier de sa force et de son activité ?

Si la France pouvait jamais oublier quel doit être le rôle de l’armée dans un gouvernement libre, l’exemple du Pérou aurait quelque poids, nous le croyons, pour conjurer une pareille erreur. Nous savons quel énergique appui une bonne armée peut prêter aux principes conservateurs ; nous ignorons encore, Dieu merci ! jusqu’à quel point les passions anarchiques peuvent abuser de la force militaire. L’histoire du Pérou nous l’apprendra : elle nous révélera aussi un autre danger des pays libres, l’absence de principes fixes dans l’autorité qui gouverne. C’est là, au reste, un trait de ressemblance du Pérou avec la plupart des républiques hispano-américaines. Ce qui frappe surtout dans les révolutions de l’Amérique du Sud, c’est l’avilissement où tombe le pouvoir par suite de son instabilité plus encore que de son incapacité. On trouva un matin à Lima ces mots écrits sur la porte du palais présidentiel : Esta casa se alquila al mes (cette maison se loue au mois). C’est qu’en effet quelques mois se passaient à peine sans qu’une révolution vînt expulser l’hôte passager de cette demeure. L’avènement des classes moyennes, dont l’influence succéda, dans les états républicains de l’Amérique du Sud, à la domination de l’aristocratie espagnole, fut pour la plupart de ces états un malheur plutôt qu’un bienfait. Ces classes n’étaient pas prêtes au grand rôle qui leur était brusquement échu et une foule d’intrigans obscurs se disputèrent sous leur bannière, non pas les honneurs, mais les profits du pouvoir. Le règne des médiocrités subalternes fut ainsi inauguré à la faveur des grands mots de liberté, de constitution, et le nom de république servit de prétexte à un impitoyable despotisme. Quelques hommes de désordre se partagèrent une des plus magnifiques, une des plus riches portions du globe ; les immenses ressources de ces contrées privilégiées furent gaspillées ou détruites par des mains coupables. Sauf de rares exceptions, les chefs des républiques espagnoles songèrent moins à leur préparer un meilleur avenir qu’à perpétuer par tous les moyens leur dictature éphémère. De là une longue série de guerres civiles, de révolutions militaires, qui, chez plusieurs d’entre elles, se prolonge malheureusement encore ; de là ces terribles crises qu’une transition mieux ménagée eût épargnées aux populations sud-américaines, trop brusquement transportées du despotisme à la liberté.

La nécessité de cette transition n’avait pas échappé à l’illustre libérateur