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bord, on retrouve tous les raffinemens du luxe européen ; à terre, c’est une végétation luxuriante qui se montre au passager dans l’infinie diversité de ses aspects, jusqu’au jour où le bateau à vapeur s’arrête enfin sur la côte orientale de l’isthme de Panama.

Là pourtant le voyage n’est pas terminé ; des canots, faits d’un seul tronc d’arbre et conduits par des indiens à demi nus, reçoivent le passager au sortir du bâtiment européen dont la gigantesque mâture domine la rade presque déserte. Ces canots vont remonter lentement la petite rivière à laquelle la ville de Chagres a donné son nom. Je ne sais si l’ancien ou le nouveau monde offre rien de comparable aux majestueuses solitudes que l’on découvre en se rendant ainsi de Chagres à Panama. La rivière sur laquelle glisse le frêle canot qui vous porte ne tarde pas à se perdre au milieu des forêts. De tous côtés, ce ne sont qu’immenses profondeurs de verdure encadrées magnifiquement par un ciel chaud et bleu. Des singes, des perruches, mille oiseaux à l’éclatant plumage, se bercent ou se poursuivent sur les branches des grands arbres, mêlant leurs cris bizarres au bruit cadencé de la pagaye des Indiens. Les roseaux, les marécages qui bordent la rivière ont aussi leur hôtes : ce sont des hérons qui marchent à pas comptés dans la vase humide, puis d’énormes crocodiles qui dorment la gueule entr’ouverte, et ressemblent de loin à des troncs d’arbres morts étendus au soleil. De distance en distance, une hutte indienne s’élève entre les arbres, au milieu d’un petit champ à demi défriché : unique indice qui rappelle au voyageur qu’il n’est pas tout-à-fait seul dans cette vaste enceinte de forêts.

On arrive ainsi au petit village de Cruces, groupe de maisons chétives où l’on quitte le canot pour prendre des mules et franchir par terre, mais toujours au milieu des bois, les quelques lieues qui vous séparent encore de Panama. Cette ville n’est guère aujourd’hui qu’un lieu de passage ; mais sa situation sur le point central où doivent s’unir les deux Amériques lui promet de grandes destinées, un avenir immense. Elle s’élève au fond d’une large baie, sur un terrain plat et uni, entrecoupé tristement de grands marais dont les eaux stagnantes, accrues, par les pluies torrentielles qui tombent de mai à novembre, corrompent l’air pendant la saison des chaleurs et déterminent souvent des fièvres funestes aux Européens. Aussi ne fait-on en général que traverser Panama : de là partent tous les mois des bateaux à vapeur qui correspondent avec ceux d’Europe, bien que moins grands et moins beaux. Vous pouvez à volonté vous rendre par ces paquebots soit sur les côtes de la Californie, le nouvel Eldorado si long-temps ignoré, soit sur celles du Pérou. L’un de ces pays commence à être connu de l’Europe ; l’autre a encore pour nous bien des mystères : c’est peut-être une raison pour nous y arrêter de préférence. Les côtes