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c’est là un de ces spectacles qui feraient douter que la civilisation ait en rien contribué au progrès de la morale politique. Quand cessera ce différend, qui, depuis deux ans, tient en péril l’existence du Danemark et l’équilibre de l’Europe septentrionale ? Tous les essais que le cabinet de Copenhague a tentés jusqu’à ce jour pour aplanir les difficultés en sauvegardant son droit ont échoué par suite du mauvais vouloir du cabinet prussien. Les Allemands des duchés, se sentant appuyés par la présence de l’armée prussienne et par la complicité des généraux qui la commandent, sont restés sur le pied de guerre, dans l’attitude de la provocation. Plusieurs fois ils ont annoncé l’intention de traiter directement avec le gouvernement danois. Celui-ci s’y est toujours prêté avec une complaisance exemplaire qu’il aurait pu très justement refuser à des sujets rebelles. Tout récemment encore il est entré en pourparlers avec les hommes de confiance députés à Copenhague par les Allemands des duchés ; mais les diplomates de l’insurrection, pleins de l’idée qu’ils ont derrière eux la Prusse, ont continué d’afficher des prétentions inacceptables. Le but de leurs propositions était toujours d’obtenir l’organisation en commun des deux duchés sur un principe d’autonomie limitée seulement par l’union personnelle avec la dynastie danoise, afin d’arriver plus sûrement par là à l’indépendance absolue. En un mot, ils n’avaient renoncé à aucune de leurs primitives prétentions.

C’est donc avec raison que le gouvernement danois vient encore une fois de repousser des propositions qu’il ne pouvait accepter ni sans humiliation ni sans péril. Aussi bien, depuis quelques semaines, les rebelles du Holstein semblent avoir repris une nouvelle hardiesse. Le concours que la Prusse ne cesse de leur prêter ranime leurs espérances, et, loin d’être disposés à céder, ils redoublent de zèle pour agiter l’opinion en leur faveur, au dehors comme au dedans. Particulièrement blessés de la sympathie avec laquelle la cause du Danemark a été accueillie en France, soit par le gouvernement, soit par la presse, mécontens de n’avoir rencontré nulle part de sentimens pareils, malgré une prodigieuse dépense de brochures, traduites en français pour notre usage, ils ont depuis quelque temps entrepris une nouvelle campagne en envoyant à Paris l’un de leurs principaux publicistes, M. Schleiden.

M. Schleiden, dont la modestie s’est cachée sous le voile de l’anonyme, est surtout préoccupé de prouver que l’insurrection des duchés ressemble à celle de la Belgique en 1831, et que la France a intérêt à prendre, comme elle le fit alors, le parti du peuple soulevé. Il commence par affirmer compendieusement que le Danemark aurait lui-même provoqué la révolte en annonçant le projet de dénationaliser les Allemands des duchés ; mais on sait que l’agitation d’où est née cette révolte existait et se produisait ouvertement bien avant que les révolutions de France et d’Allemagne vinssent donner aux chefs du parti allemand la hardiesse de se jeter dans la lutte. On sait, par la correspondance du duc d’Augustenbourg et de son frère, avec quelle joie ils accueillirent la nouvelle des événemens qui allaient leur fournir une si belle occasion d’agir ; on se rappelle que le gouvernement danois, bien loin de s’être rendu coupable de quelque affreux projet de centralisation et d’unité, a bien plutôt mérité le reproche d’une trop longue complaisance pour les fonctionnaires publics nommés par lui, et qui, dans les duchés, avaient pris ouvertement le parti de l’opposition. La patience du gouvernement n’était-elle pas allée au point que les