Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/1146

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a dirigés sur d’autres points ; toujours est-il que la Créole parut seule, le 19 mai, à trois heures du matin, devant la petite ville de Cardenas, située à quatre-vingt-dix milles de Matanzas : c’est une ville ouverte dont le commandant, don Florencio Ceruti, n’avait à sa disposition que dix-sept hommes de troupes régulières. Les aventuriers, à peine débarqués, assaillirent la prison qu’ils prirent pour une caserne, et, après avoir chassé à coups de fusil les gardiens, ils mirent les détenus en liberté. Le commandant accourut avec ses soldats, que Lopez voulut haranguer, et qui répondirent par une décharge ; les Espagnols, en présence de leur infériorité numérique, se retranchèrent dans la maison du gouverneur, à laquelle les Américains mirent le feu ; ils se retirèrent alors successivement dans trois maisons d’où le feu les chassa. Cernés enfin dans la quatrième et à bout de munitions, ils furent obligés de se rendre.

Lopez fit occuper alors les bâtimens de la douane, et se saisit de 50 000 dollars qu’il trouva dans la caisse du percepteur. Les habitans de Cardenas s’étaient réfugiés partie à bord des navires en rade, partie dans la campagne ; les détenus mis en liberté par les aventuriers avaient eux-mêmes refusé de se joindre aux Américains. Lopez envoya une partie de ses gens pour pousser une reconnaissance au dehors de la ville, et pour enlever les rails du chemin de fer de Matanzas ; mais ils furent rencontrés par le commandant de la ville voisine, qui accourait à la tête de vingt lanciers et d’une trentaine de paysans à cheval, qui les chargea et les repoussa dans la ville. Déjà les aventuriers avaient perdu courage. Lopez leur avait promis que tout le pays se soulèverait à leur approche, et que les soldats espagnols eux-mêmes se joindraient à eux. Loin de là, les habitans prenaient la fuite, et les soldats les accueillaient à coups de fusil. Ils devaient s’attendre à voir arriver d’heure en heure sous les murs de Cardenas le gouverneur de Matanzas avec des régimens de troupes régulières, et à voir entrer dans le port quelqu’un des bâtimens de la croisière espagnole. Ils exigèrent donc un rembarquement immédiat, et, avant l’expiration de vingt-quatre heures, ils étaient remontés à bord de la Créole. Ce bâtiment ne tarda pas à être poursuivi par le bateau à vapeur espagnol le Pizarro, qui lui donna vivement la chasse ; mais la Créole réussit à atteindre la pointe de la Floride et à se jeter dans le port de Key-West. Les douaniers américains se saisirent aussitôt du navire, et s’engagèrent à le remettre au premier navire de guerre américain qui se présenterait. Sur cette assurance, le Pizarro consentit à ne point saisir la Créole dans les eaux américaines, et reprit la mer. Au milieu de la confusion produite par l’entrée simultanée des deux navires dans le port, Lopez et son aide-de-camp Sanchez-Iznaga s’étaient jetés dans un canot et avaient pu se faire conduire à bord du paquebot l’Isabelle, alors en relâche à Key-West, et qui les transporta à Savannah.

À peine arrivés dans cette ville, tous deux furent arrêtés par le marshal des États-Unis, qui demanda au juge du district l’autorisation de les emprisonner ; mais, comme le marshal ne pouvait produire aucun témoin qui déposât des faits dont Lopez et Iznaga s’étaient rendus coupables, le juge ordonna leur mise en liberté. Quoiqu’il fût déjà plus de minuit, une foule innombrable encombrait le prétoire ; elle accueillit la décision du juge par des acclamations, et elle reconduisit Lopez en triomphe à son hôtel. Bien plus, Lopez dut paraître sur le balcon et haranguer la multitude. Il déclara, au milieu des applaudissemens,