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les chefs des deux associations entrèrent en pourparlers, et convinrent bientôt de réunir leurs fonds et leurs forces et de reprendre à frais communs le projet d’envahir Cuba. La junte directrice fut établie à la Nouvelle-Orléans, sous la présidence de Lopez. Celui-ci est un homme jeune encore. Il est né à Caracas, dans le Venezuela. Il avait quinze ans, quand les colonies espagnoles se soulevèrent contre la métropole ; il s’enrôla aussitôt et prit parti pour l’Espagne. Il s’acquit promptement une assez belle réputation militaire, et parvint au grade d’officier-général. Quand l’Espagne fut obligée de reconnaître l’indépendance de ses colonies, elle récompensa magnifiquement les services de Lopez en lui accordant de grandes concessions de terres à Cuba et le titre de sénateur. Lopez jouissait de sa fortune depuis plusieurs années, lorsqu’une sorte d’agitation fut organisée à Cuba pour arracher au gouvernement espagnol l’abandon de prés que toute son autorité sur l’île, et surtout l’abandon des droits de douane qu’il perçoit. Lopez se mit à la tête de ce mouvement, fut envoyé en députation à Madrid, et, au retour de ce voyage inutile, se jeta dans une conspiration qui le fit expulser de Cuba. C’est alors qu’il a juré, dit-on, de consacrer sa fortune et sa vie à enlever à l’Espagne la reine des Antilles.

À côté de Lopez se trouvaient dans la junte un riche Havanais réfugié, nommé Gonzalez, le général Henderson, qui a commandé les milices du Mississipi, et qui a représenté cet état au sénat de Washington, M. D.-J. Ségur, l’un des propriétaires du journal le Delta, et enfin le grand-scribe des Hiboux. Une seconde junte fut établie à New-York ; elle avait pour membre principal Moses Beach, rédacteur du Sun, et pour secrétaire M. Tolon, rédacteur du journal la Verdad, fondé par les Havanais réfugiés aux États-Unis. Les autres membres n’en sont pas encore connus, attendu que les actes de la junte de New-York n’ont porté que la signature du secrétaire. L’entreprise fut organisée sur l’échelle la plus vaste. Aussitôt après l’établissement du gouvernement provisoire dont Lopez aurait été président, les colonels de l’expédition devaient recevoir 30 000 dollars, les capitaines 10 000 et les lieutenans 5 000. Des concessions de terres étaient garanties à tous les officiers et soldats ; on ne s’étonnera pas que des promesses semblables aient séduit beaucoup d’aventuriers, lorsque des hommes distingués des États-Unis s’y sont laissé prendre. Le colonel O’Hare du Kentucky et le colonel White de la Louisiane avaient accepté des commandemens sous Lopez, et l’un des lieutenans du général Taylor dans la guerre du Mexique, le général Quitman, en ce moment gouverneur du Kentucky, s’était engagé à donner sa démission et à aller prendre la direction des opérations militaires aussitôt que Lopez se serait établi sur un point. Il s’était engagé en outre à emmener avec lui un corps de réserve, levé parmi ses compatriotes et ses anciens compagnons d’armes. Enfin on assure que l’un des membres du cabinet, M. Crawford, ministre de la guerre, sans être dans le secret du complot, était tout-à-fait favorable à l’entreprise.

C’est le 8 mai que Lopez quitta la Nouvelle-Orléans avec près de six cents hommes sur le navire à vapeur la Créole. Il se dirigea sur l’île de Contoy qui, avec l’île de Las Mugeres ou des Femmes, est située à la pointe septentrionale de l’Yucatan : en prenant cette route, il était certain d’éviter la croisière établie par les Espagnols entre la Havane et la pointe de la Floride. On ne sait s’il n’a pas trouvé à l’île de Contoy les navires qui devaient l’y avoir précédé, ou s’il les