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Mais, avant de raconter l’issue de cette entreprise, il convient peut-être d’en faire connaître l’origine. C’est une curieuse histoire, qui nous révèle un côté tout nouveau des mœurs américaines. L’idée première de l’expédition a été conçue, il y a trois ans, à la conclusion de la paix avec le Mexique. Les soldats licenciés après la guerre renoncèrent avec peine à un métier qui leur avait rapporté, outre une paie élevée, d’abondantes dépouilles. On en vit quelques-uns émigrer en Californie, d’autres aller vendre leurs services dans les guerres civiles de l’Amérique centrale ; d’autres, au nombre de plus de mille et sous le commandement d’un de leurs anciens officiers, se mettre à la solde des colons de l’Yucatan, incapables de réprimer une révolte générale des Indiens. Des officiers supérieurs, et entre autres le général Shields et le colonel Derussy, conçurent le projet, soit de ressusciter la guerre avec le Mexique par un nouveau démembrement de cette république, soit de conquérir Cuba, et une association se forma, sous le nom de les Merles et les Hiboux, pour organiser une expédition militaire, ou, comme disent les Américains de l’ouest dans leur langage figuré, une chasse au buffle. On vit donc un jour paraître simultanément dans presque tous les journaux un avis signé du « Grand-Scribe des Merles et des Hiboux. » Ce personnage inconnu invitait toutes les personnes désireuses de prendre part à une grande chasse au buffle dans la vallée du Rio-Grande de lui écrire poste restante pour lui faire connaître leur nom, leur résidence et le nombre d’hommes qu’elles pourraient conduire à la chasse, si un commandement leur était donné. Le but ostensible de l’expédition était de provoquer pet de soutenir un mouvement insurrectionnel dans les provinces septentrionales du Mexique, et d’ériger ces provinces en un état indépendant, sous le nom de République de la Sierra Madre. Le but réel était d’envahir l’île de Cuba. Aucune tentative n’eut lieu, parce que le général Shields fut élu sénateur par l’état d’Illinois et abandonna l’entreprise. La retraite de leur chef ne découragea point les Hiboux ; ils continuèrent à recruter des adhérens dans toute l’étendue de l’Union, et s’organisèrent de telle sorte qu’un mot d’ordre expédié par la poste luit en une semaine réunir sept ou huit mille hommes sur un point quelconque d’embarquement.

Pendant que les Hiboux complétaient leur organisation, une autre association se formait au commencement de 1849, moitié à la Nouvelle-Orléans et moitié à New-York, entre des Américains propriétaires de plantations à Cuba, des planteurs mécontens et des créoles exilés de Cuba pour causes politiques. L’association avait pour chef le général Lopez et pour agent principal l’un des propriétaires du journal le Sun de New-York, M. Moses Beach, qui avait rapporté d’un voyage à la Havane la pensée de l’entreprise. Des enrôlemens furent faits à la Nouvelle-Orléans et à New-York, et le point de ralliement était une petite île appelée Round-Island, un peu au-dessous de la Nouvelle-Orléans. Déjà plusieurs centaines d’hommes et trois navires à vapeur étaient réunis à Round-Island, lorsque deux navires de guerre vinrent bloquer l’île et obliger les aventuriers à se disperser. En même temps, le président faisait saisir à New-York deux navires frétés par eux.

Les Hiboux désavouèrent toute participation à l’entreprise manquée. De son côté, Lopez laissa dire qu’il renonçait désormais à ses projets, et que les 3 millions dépensés inutilement avaient épuisé les ressources de ses amis. Néanmoins