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communication immédiate avec le ciel faisait d’étranges dégâts dans les cerveaux trop faibles. Le nom de quakers ou trembleurs, qui leur fut donné par dérision, rappelle à lui seul bien des exaltations désordonnées. Le dogme fondamental de la Société des Amis obligeait tout quaker à se croire doué du don de prophétie, et aux premiers jours de fièvre elle compta dans son sein nombre de prophètes convulsionnaires chez qui les visites de l’esprit s’annonçaient par des tremblemens, des soupirs, d’indicibles épouvantes. Trop souvent aussi l’oracle infaillible avait de bizarres caprices. Une prophétesse se rua toute nue dans la chapelle de Whitehall, en présence du protecteur[1] ; une autre quakeresse reçut du ciel l’ordre de se présenter devant le parlement une cruche en main et de la briser à terre en s’écriant : « Ainsi serez-vous mis en pièces. » Certain fanatique d’humeur plus sombre avait été appelé à tuer tous les représentans des trois royaumes, et, armé d’un sabre, il blessa plusieurs personnes avant qu’on eût pu l’arrêter. L’enthousiasme religieux se manifestait de bien d’autres façons. Fox lui-même s’était dit délivré de tout péché. James Nayler s’adora ou se laissa adorer comme « l’éternel fils de la justice, le prince de la paix, » et, à l’imitation de l’entrée du Christ à Jérusalem, il fit sa propre entrée à Bristol, au milieu d’une troupe d’hommes et de femmes qui étendaient leurs vêtemens sous les pieds de son cheval et allaient criant devant lui : « Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu des armées ; hosannah au plus haut des cieux ! » En Hollande, des quakers poussèrent si loin la haine des distinctions et le fanatisme niveleur, qu’ils publièrent des livres sans lettres majuscules.

On peut dire, et jusqu’à un certain point on a droit de dire, que c’étaient là des aberrations individuelles ; mais ce qui n’était nullement une exception, et ce qui n’en dépassait pas moins toutes les limites admissibles, c’était l’esprit de prosélytisme de la secte naissante et son parti pris de porter témoignage contre tout ce qu’elle désapprouvait. Les quakers se regardaient comme un peuple choisi par le Seigneur pour le service de celui dont le royaume n’est pas de ce monde, et autant ils dédaignaient de prendre part aux vaines agitations des hommes, autant ils se faisaient un devoir de mépriser les usages et les convenances, de se refuser à payer les dîmes et à se découvrir devant les magistrats, de dénoncer aux masses, comme des

  1. La passion des symboles et figures était presque universelle chez les premiers quakers. Fox lui-même écrivait : « Plusieurs ont été poussés par le ciel à aller nus par les rues et sous ce règne et sous l’autre pouvoir, en signe de la nudité des hommes du jour, et ils ont déclaré à leur face que Dieu les dépouillerait de leurs dehors hypocrites pour les laisser aussi nus qu’eux-mêmes ; mais les hommes du jour, au lieu de tenir compte des avertissemens des prophètes, les ont fréquemment fouettés ou accablés d’autres outrages. »