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contre une autorité qui les sommait d’accepter comme le vrai et le juste ce qui contredisait leur conception de la justice et de la vérité. Évidemment tous ces protestans ne pouvaient accuser la loi d’erreur qu’au nom de leur sens propre. Leurs croyances étaient pour eux incontestables, parce qu’elles étaient irrésistibles, et si quelques-uns s’étaient donnés pour des prophètes chargés de révéler une fois pour toutes la science suprême, le plus grand nombre avait simplement glorifié le sentiment intime comme le guide suprême et le maître infaillible. Pour ne nous occuper que du christianisme, à chaque siècle de son histoire on avait vu la même protestation successivement reprise par l’église primitive contre les gnostiques et la philosophie de l’Orient, par saint Augustin contre Pélasge, par les mystiques, les beghards, les turlupins, les ordres mendians, les premiers luthériens, les anabaptistes, etc., contre l’église établie. Avec un langage différent, les uns et les autres plaidaient la même cause que les quakers ; seulement leur manière à eux de revendiquer les droits du sens propre, c’était de soutenir que l’homme n’est pas libre, que sa foi et ses volontés ne viennent pas de lui, et que nulle loi comme nulle doctrine n’a puissance pour régenter la divine fatalité qui pense et veut dans l’être humain.

Si nombreuses qu’elles eussent été, toutes ces tentatives d’émancipation s’étaient heurtées au même écueil : à l’idée que la vérité est une, que le législateur intérieur, puisqu’il est infaillible, ne peut manquer de prononcer chez tous les mêmes oracles, et qu’en conséquence toute autorité, tout enseignement, sont ou superflus ou coupables : superflus s’ils confirment ce qui est manifesté à chacun, coupables s’ils contredisent cette révélation intérieure. Au bout de ces illusions était l’anarchie, le déchaînement des instincts aveugles, et les novateurs avaient toujours fini par être écrasés ou par se renier eux-mêmes. Les uns s’étaient perdus dans leurs propres excès, en persistant à enseigner, comme Fox et nos socialistes, que l’individu devait rejeter toute règle, nier toute expérience, s’insurger contre toute convention sociale. Les autres n’avaient échappé au naufrage qu’en arrêtant de nouveau, comme Luther, une confession de foi, c’est-à-dire en déterminant ce que tous étaient tenus d’admettre, bien qu’ils eussent commencé par proclamer que chacun ne devait s’en rapporter qu’à sa lumière intérieure.

Pendant quelque temps, on put croire que les disciples de Fox partageraient le sort des premiers. Ils étaient sans doute en progrès sur leurs devanciers : ainsi ils ne prêchaient point la communauté des femmes et la légitimité de toute immoralité, comme l’avaient fait les beghards ; loin de là, ils étaient honnêtes, chastes, inoffensifs, scrupuleux observateurs de la justice. Toujours est-il que l’idée fixe d’une