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JACOBUS.

C’est me pousser dehors par les épaules, madame. (Il prend son chapeau et sa canne. — Mme  d’Ermel tire le cordon d’une sonnette. Victoire entre.)

Mme  D’ERMEL.

Le domestique du docteur est-il arrivé ?

VICTOIRE.

Ah ! grand Dieu ! nenni, madame.

Mme  D’ERMEL.

Eh bien ! dites à Jean d’allumer sa lanterne et de reconduire monsieur.

VICTOIRE.

Eh ! Seigneur, madame !

Mme  D’ERMEL.

Qu’est-ce qui vous prend, vous ?

VICTOIRE.

Mais madame n’entend donc pas le temps qu’il fait dehors ? C’est le déluge universel.

Mme  D’ERMEL.

Et à quoi servent les parapluies, selon vous ?

VICTOIRE.

Ce n’est pas un parapluie, madame, c’est un bateau qu’il faudrait à monsieur. Le ruisseau du moulin est débordé ; Jean, qui en arrive, a vu passer le chien du meunier avec sa niche, et un tas de bûches derrière ; tout ça s’en allant à la mer, sans doute, car on n’a jamais vu chose pareille.

JACOBUS.

Il n’importe, il n’importe. Je traverserai de manière ou d’autre.

Mme  D’ERMEL.

C’est une folie. Il est inutile de vous noyer, surtout dans les belles dispositions où vous êtes. (À Victoire.) — C’est bien : je vous rappellerai. (Victoire sort. À Jacobus.) — Quand la pluie aura cessé, vous sonnerez Victoire ; Jean vous accompagnera. Je vous laisse. Je suis fatiguée, je vais me mettre au lit. (Elle sort par la petite porte qui communique avec sa chambre à coucher.)


Dans la chambre à coucher. — La chambre est petite, fraîche, élégante. Une veilleuse l’éclaire à demi. Le pied du lit est voisin de la porte du boudoir.
Mme  D’ERMEL, la tête appuyée contre une des colonnettes du lit.

Les hommes sont mauvais… qu’ils sont mauvais !… J’ai peut-être aussi trop exigé… mais ce n’était pas mon seul pardon que je voulais faire acheter !… s’il n’eût offensé que moi !… (Elle fait quelques pas dans la chambre.) Mon Dieu !… qu’est-ce que j’ai donc ? Ces choses-là sont étranges à mon âge… mais la vérité est que tant que le cœur bat, il peut souffir… qu’il a de façons de s’y prendre pour cela ! — Il m’est arrivé, quand j’étais jeune femme, d’aspirer à la saison de la vie où l’on suppose toutes les passions éteintes dans les veines glacées… je me figurais qu’alors je n’aurais plus rien à combattre… mais sans