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leçon enseignée ; l’unique maître, c’est le châtiment, ou, si l’on veut, l’expérience. Dieu n’a pas trouvé de meilleur moyen pour faire notre éducation. Si l’horreur du meurtre est devenue une partie de notre nature, ce n’est point parce que la conscience des masses a spontanément reconnu ce qu’il y avait de beau à ne pas tuer, c’est parce que certains hommes ont compris avant les masses les funestes conséquences du meurtre, et parce qu’en punissant les meurtriers, ils ont habitué la foule à redouter les peines infligées au meurtre. Si la liberté est devenue possible, nous ne le devons pas à ceux qui se sont enthousiasmés pour elle (l’Italie en est la preuve) ; nous le devons aux tyrans et aux rudes seigneurs qui ont accoutumé nos pères à reconnaître une règle en dehors de leurs caprices. Que la loi rétribue donc chacun suivant ses œuvres ; il le faut pour que la vie sociale soit possible. Tant que l’on pourra violer impunément la légalité, la légalité sera violée, et si jamais le respect de la loi doit entrer en nous, ce sera seulement lorsqu’à force de punir ceux qui se lèvent contre elle, nous aurons fait de l’émeute une chose odieuse, repoussante et terrible, une chose entachée d’infamie, je dirais presque une impossibilité, dont chacun s’éloignera instinctivement comme du feu qui brûle.

Mais nous n’en sommes pas là. Notre impuissance à comprendre la nécessité du châtiment ne le prouve que trop. Nous avons voulu nous délivrer des rois absolus, des autocrates, et nous n’avons pas senti que là où ne commandait pas un homme redouté de tous, il fallait qu’une loi respectée de tous commandât à sa place, ou que le chaos fît son entrée solennelle. Depuis le XVIIIe siècle, toutes les voix ont glorifié l’insurrection sous toutes ses formes. Quiconque insulte ou attaque le pouvoir dans la personne d’un sergent de ville ou d’un roi est soudain transfiguré en héros. Les apôtres les plus sincères de la liberté croient préparer son avènement en prenant sous leur protection tous les fanatiques qui la rendent menaçante. La révolte, en un mot, est notre idéal ; elle est pour nous le beau, l’héroïsme, ce qui plaît le plus au théâtre, dans les romans, partout. Les autorités elles-mêmes, celles de la famille et de la société, lui élèvent des colonnes. Quand la loi paraît trop sévère aux jurys, ils se font un devoir de mentir sur la question de fait pour abroger virtuellement la loi et s’ériger eux-mêmes en assemblées législatives. Tous les pouvoirs ne savent plus à quoi ils servent. Leur unique ambition est de se mettre en honneur par des amnisties. Qu’est-ce à dire ? Cela signifie que la barbarie primitive est trop loin de nous, et que nous ne nous en souvenons pas. Depuis trop long-temps, grace aux anciennes digues, la mer a respecté nos habitations, et nous nous sommes persuadés que sa nature était de ne pas vouloir nous engloutir. Au fond de notre mépris pour l’autorité, qui est déjà une impuissance, il y a encore une impuissance, et non une